Chicane de famille
La relation entre le Parti québécois (PQ) et le Bloc québécois n’a jamais été un long fleuve tranquille. Quand il est apparu que, contrairement à ce que croyait son fondateur, le Bloc était là pour de bon, la cohabitation entre les deux partis frères allait inévitablement connaître certaines frictions.
Les relations étaient redevenues plus harmonieuses depuis deux ans, après le froid qu’avait causé le rapprochement entre le Bloc et le gouvernement Legault, dont il s’était institué le porte-parole à Ottawa, au nom de la « défense des intérêts du Québec ». La chicane peut cependant éclater à tout moment, même dans les familles les plus unies.
Le Journal de Montréal a obtenu copie d’une note interne signée par la directrice générale du PQ, Génifère Legrand, qui reproche au Bloc ce qu’elle qualifie de « manques de respect ».
Le PQ n’a pas digéré qu’il ait recruté à son « insu » un de ses candidats vedettes en 2022 (et en 2014), Alexis Deschênes, qui défendra les couleurs bloquistes dans la nouvelle circonscription fédérale de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine–Listuguj.
Qui plus est, les bénévoles du PQ sont « fortement sollicités » par le Bloc en prévision de la prochaine élection fédérale, alors qu’une élection partielle sur laquelle le PQ mise beaucoup aura lieu dans Terrebonne le 17 mars.
La note de la directrice générale demande donc à tous les membres, militants et employés de consacrer leur énergie à la scène québécoise et de « [l’] informer de situations qui mériteraient [son] attention ». Autrement dit, on craint d’autres tentatives de maraudage.
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Malgré une entente en vertu de laquelle les deux partis ne doivent pas se cannibaliser, le premier arrivé se sert le premier, et on oublie facilement les politesses quand il y a péril en la demeure.
Le Bloc sera bientôt plongé dans une campagne électorale dont l’issue est très incertaine. Il y a à peine un mois, il se voyait former l’opposition officielle à la Chambre des communes. À la surprise générale, un récent sondage Léger accordait plutôt 14 points d’avance au Parti libéral du Canada au Québec, si Mark Carney en devenait le chef.
Au cours des dernières années, c’est le Bloc qui a assuré la présence souverainiste. Alors que la représentation péquiste à l’Assemblée nationale a fondu comme neige au soleil après la défaite de 2014, jusqu’à être réduite à trois députés, le Bloc a connu une véritable renaissance à la Chambre des communes, faisant élire dix fois plus de députés. Pas étonnant qu’il estime avoir la préséance.
M. Deschênes constitue assurément une prise de choix. « Au hockey, on appelle ça un joueur de concession », s’est félicité le chef bloquiste, Yves-François Blanchet. Cela équivalait à tourner le fer dans la plaie du PQ, dont on peut comprendre la frustration.
Il reste que M. Deschênes a accepté librement l’invitation du Bloc. Rien ne l’empêchait de faire une troisième tentative sous la bannière péquiste, qui aurait peut-être été la bonne après ses échecs dans Trois-Rivières (2014) et Bonaventure (2022). Les projections du site Qc125 prévoient que le PQ arrachera cette dernière circonscription à la CAQ en octobre 2026.
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Même si Paul St-Pierre Plamondon maintient qu’un gouvernement péquiste tiendra un référendum dans un premier mandat, M. Deschênes n’en a pas moins choisi de faire le saut sur la scène fédérale. Il a expliqué que les menaces de Donald Trump l’avaient convaincu de reprendre du service au Bloc.
Cela ne l’empêcherait pas de participer activement à une campagne référendaire, s’il devait y en avoir une, mais il a dû prendre une décision qui illustre bien le dilemme auquel les souverainistes font face. Dans les circonstances actuelles, le plus important est-il de préparer un référendum ou de contrer, en s’alliant au reste du Canada, les projets inquiétants du président américain ?
M. Blanchet a répondu à la question dans une entrevue accordée au Devoir le mois dernier : « On n’a pas le choix ! Ce n’est pas ma préférence, mais on est pris pour négocier à l’intérieur d’une unité canadienne. Que ça nous plaise ou non, on est à l’intérieur d’une zone d’incertitude, on doit la traverser. »
Nul ne sait quand débuteront les négociations pour le renouvellement de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), qui arrive en principe à échéance en juillet 2026, ni quel en sera le résultat. Il est cependant à craindre que l’incertitude persiste aussi longtemps que Donald Trump sera à la Maison-Blanche.
Il appartiendra au PQ seul de décider s’il fera campagne sur la tenue d’un référendum lors de la prochaine élection, mais on ne peut pas faire en même temps la chose et son contraire, à savoir faire front commun avec le Canada contre les États-Unis et s’en séparer.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.