Des fouilles dans le Vieux-Québec font ressusciter le fantôme de Champlain

Les fouilles archéologiques qui commenceront ce printemps sous la rue De Buade, à Québec, traverseront un ancien cimetière datant du XVIIe siècle. La découverte d’ossements devant la façade du restaurant Wong va immanquablement relancer le vieux débat — et les mauvaises blagues — sur l’emplacement du tombeau de Samuel de Champlain.
« Ça aura le mérite de faire le ménage dans les hypothèses », explique le chercheur Richard Couture en entrevue au Devoir. Pour ce dernier, la question est réglée puisque les ruines de la chapelle sous laquelle le fondateur de Québec a été inhumé à la suite de son décès en 1635 ont vraisemblablement été retrouvées il y a plus de 70 ans à l’arrière du 11, rue De Buade.
« Il y a un éléphant dans la pièce et on ne veut pas le voir, constate l’auteur de La chapelle Champlain, une étude touffue de géolocalisation publiée l’année dernière aux Éditions GID. Aujourd’hui, on cherche partout sauf à cet endroit ! »
Les vestiges de maçonnerie exhumés entre 1953 et 1957 sont enfouis dans une arrière-cour étroite délimitée par les murs des bâtiments avoisinants. L’endroit est loin de l’écrin de verdure que l’on imagine en songeant aux charmes du Vieux-Québec. « C’est un local à poubelles, déplore Richard Couture. Je trouve ça extrêmement malheureux. »
Les ruines sont toujours là, à une quarantaine de centimètres sous une couche de béton craquelé. « Rien n’a bougé depuis. Je pense notamment à ce que l’archéologue canadien Wilfrid Jury pensait être un fond de cercueil. On pourrait aujourd’hui dater ces restes de bois à l’aide d’une analyse dendrochronologique. »
L’informaticien de profession espère relancer une quête archéologique devenue taboue à force d’être ridiculisée dans les médias. « J’aurais pu m’épargner cette recherche de quatre ans et demi, vu la crainte de perdre de la crédibilité. Je ne fais pas partie du sérail des historiens et des archéologues, il fallait que ça soit quelqu’un comme moi qui le fasse. »

Klondike
La recherche du tombeau de Champlain a pris son envol en 1866 avec la parution d’une brochure des abbés Casgrain et Laverdière qui a déclenché ce qu’on appellera la « querelle des antiquaires ». Le débat s’est rapidement resserré dans une zone de moins de 100 mètres, aux abords de la mythique « réserve d’Ailleboust » de 1649 évoquée dans les sources.
L’énigme semble résolue en 1958 lorsque le dernier boulon d’une plaque commémorative est vissé sur la façade du 11, rue De Buade pour marquer l’emplacement des ruines de la chapelle Champlain exhumées par l’historien Silvio Dumas. « Pendant 20 ans, ç’a été l’hypothèse officielle, il n’y avait pas de polémique », rappelle Richard Couture.
Le débat est toutefois relancé en 1976 avec la découverte du plan de travail d’un érudit français du XIXe siècle, Pierre-Louis Morin, qui situe la chapelle du fondateur de Québec au nord-ouest du site fouillé par Dumas. « C’est à partir de là qu’on s’est enflammé, constate Couture. Toutes sortes de chercheurs s’y sont mis. »
Cette ruée archéologique s’est arrêtée net en 1999 avec le percement d’un mur donnant sur la chambre froide du restaurant Wong, où l’on pensait retrouver le caveau de Champlain. « Cet épisode a brûlé le sujet jusqu’à aujourd’hui. On ne s’est jamais dit : “Et si on revenait à l’endroit où on était avant la découverte du faux plan ?” »

ADN
La chapelle Champlain aurait été démantelée dans les années 1660 ou au début de la décennie suivante. Pour Richard Couture, il est inconcevable que les contemporains aient laissé la dépouille du père de la Nouvelle-France sur place. « C’est le bon sens qui veut qu’on ait déplacé ses restes dans la nouvelle église qui était juste en face », dit-il.
Champlain se trouverait ainsi au sous-sol de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec, dans l’un des trois ossuaires de maçonnerie aménagés dans le courant du XIXe siècle. Sa dépouille serait mêlée aux ossements anonymes des cimetières avoisinants qui y ont été déversés à la suite de leur fermeture.
L’identification du fondateur de Québec n’a rien d’utopique, selon Richard Couture. « Il est désormais possible de déterminer la provenance de certains restes humains, dit-il. On pourrait encore collecter de l’ADN. »
La dépouille de Champlain pourrait également être identifiée à partir de l’un de ses fémurs, qui porterait vraisemblablement la marque d’une flèche iroquoise reçue lors d’un combat livré dans la région des Grands Lacs en 1615, comme l’expliquait l’archéologue Carl Lavoie au Devoir en 2018.
Au fait, que ferions-nous des restes de l’explorateur si l’on parvenait à les retrouver au fond de l’un des ossuaires de la basilique ? « On pourrait faire un gisant dans l’une des chapelles de Notre-Dame-de-Québec, comme celui de monseigneur de Laval », lance Richard Couture en parlant de ces monuments funéraires où le défunt est statufié sur le dos.
Ce mausolée serait fréquenté, si l’on se fie à la popularité de l’explorateur et géographe, dont l’aura de tolérance lui a permis de traverser les siècles sans trop d’égratignures. Le Champlain dévot de la contre-réforme catholique en surprendrait toutefois plus d’un s’il était cloné à partir de ses ossements. « Il avait le projet de faire de Québec une ville exemplaire, un peu comme Maisonneuve à Montréal, explique Richard Couture. En même temps, c’était un humaniste. Il avait à cœur de s’entendre avec les peuples autochtones. »
Nécropole
Les fouilles prévues sous la rue De Buade entre mai et novembre 2025 se dérouleront dans le cadre de travaux de réfection des infrastructures souterraines d’Hydro-Québec. La municipalité en profitera pour remodeler les trottoirs achalandés de cette artère touristique, qui s’étire sur 150 mètres entre l’hôtel de ville de Québec et le bureau de poste de la côte de la Montagne. Entre 200 et 250 sépultures se trouveraient toujours dans le périmètre de l’ancien cimetière Sainte-Famille (1657-1841) qui longeait cette rue, du côté sud de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec.