Le TGV ne se fera probablement pas, mais il devrait être fait, selon Richard Bergeron

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mercredi le démarrage du projet de train à grande vitesse (TGV) entre Québec et Toronto.
Photo: Philippe Lopez archives Agence France-Presse Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mercredi le démarrage du projet de train à grande vitesse (TGV) entre Québec et Toronto.

Richard Bergeron, docteur en urbanisme, cofondateur du parti Projet Montréal et chroniqueur sur les transports et l’aménagement urbain (urba2050.com et Radio-Canada) juge la nouvelle promesse de développer un TGV reliant Québec à Toronto coûteuse, mais nécessaire.

Croyez-vous à la nouvelle promesse fédérale de développer un train à grande vitesse (TGV) au Québec et en Ontario ?

Je ne crois pas que le projet va se réaliser. Je n’y crois même pas du tout, du tout. En pratique, ça ne se fera pas, mais j’y crois intellectuellement et je serais bien heureux d’être démenti. Justin Trudeau va démissionner le [9 mars], dans deux semaines et demie. Ce sera donc au nouveau chef libéral ou à la nouvelle cheffe libérale de reprendre ou pas l’engagement. De toute façon, sur ce sujet, j’ai vu neiger. Je lisais [mercredi] matin dans les médias que le projet est en discussion depuis [neuf] ans. Non. Ça fait bien plus longtemps. Quand on est passés le plus proche de le réaliser, c’était dans les années 1990. À ce moment-là, les trois ordres de gouvernement étaient favorables à l’idée et engagés ensemble dans une démarche pour valider ou invalider le projet. J’ai même deux chapitres sur le sujet dans mon livre Le livre noir de l’automobile publié en 1999, un pour démonter les études de coûts, l’autre pour quand même faire la promotion du TGV.

Combien aurait coûté le projet qui allait alors de Québec à Windsor ?

Le projet a échoué sur le prix de 18 milliards en utilisant une approche de financement strictement privé. Moi, je l’évaluais plutôt à 11 milliards, soit 10 millions du kilomètre, le coût moyen à l’international à l’époque. Sans compter les bénéfices énormes pour la société. C’est ce qu’on a raté il y a un quart de siècle.

Pourquoi ?

Dans les années 1990, l’industrie aérienne était radicalement contre. Il y avait alors deux transporteurs nationaux, Air Canada et Canadian Airlines, qui avaient peur de disparaître. Cette dernière était la plus vindicative et a quand même disparu. Ce sujet-là est fou depuis le début. Je vais vous raconter une petite anecdote qui en dit long. À l’époque, le gouvernement de l’Ontario exigeait que l’électricité de la portion du TGV sur son territoire soit fournie par l’Ontario. Les Ontariens ne faisaient pas confiance aux Québécois, en cas d’indépendance du Québec. Maintenant, c’est l’industrie de l’automobile de l’Ontario qui sera vraisemblablement radicalement contre l’idée.

Comment jugez-vous le prix du nouveau projet évalué au départ à plus de 100 milliards ?

Le seul [projet] comparable sur le continent, c’est le réseau californien. Il est présentement rendu à près de 225 millions de dollars canadiens le kilomètre. Or, en ce moment, le projet Bordeaux-Toulouse en construction en France est évalué à environ 50 millions le kilomètre. Pourtant, les Français se plaignent parce qu’ils n’ont jamais payé plus que 20 millions le kilomètre. Ici, avec le projet actuel de TGV Québec-Toronto, on en serait à 140 millions le kilomètre, et il faudrait ensuite ajouter 250 kilomètres de voie pour rejoindre Windsor. C’est énorme. Je n’arrête pas de dénoncer le coût de nos infrastructures de transport collectif. Le REM est un exemple extraordinaire de maîtrise des coûts. Pour le reste, les budgets explosent. 7 milliards pour le prolongement du métro de 5 kilomètres jusqu’à Anjou, soit 1,4 milliard par kilomètre, ça n’a pas de bon sens. On a fait le prolongement du métro à Laval pour 150 millions le kilomètre. Vingt ans plus tard, c’est dix fois plus !

Vous êtes pourtant pour le TGV ultradispendieux. Pourquoi devrait-on consacrer autant d’argent à ce projet ?

Combien coûtent l’acquisition et l’opération des automobiles ? On peut faire les calculs en tenant compte du nombre de passagers, soit une trentaine de millions par année, et des kilomètres parcourus. Sur un horizon de vingt ans, on arrive approximativement à 400 ou même 500 milliards de dollars. J’ai fait les mêmes calculs pour le tramway de Québec. On économisera des dizaines de milliards en investissant dans cet équipement.

Dans une entrevue récente au Devoir, l’ex-grand patron du rail suisse recommandait plutôt au Québec de suivre son modèle en développant un réseau plus lent mais étendu, couvrant tout le territoire, rapide et fiable. Comment réagissez-vous à cette proposition ?

C’est une excellente théorie par un Suisse concernant la Suisse. C’est un pays magique, mais c’est un mouchoir de poche. Je ne dirais jamais un mot contre le système helvète des transports. Seulement, on n’a pas le même territoire, ni la même dispersion de la population.

L’idée suisse est plutôt : mieux vaut un réseau ferroviaire pour tous qu’un TGV pour des touristes et des gens d’affaires. Pourquoi relier Québec à Toronto à grande vitesse alors qu’on pourrait juste souhaiter aller de Montréal à Sherbrooke ou à Gatineau en train rapide et fréquent ?

On avait ce réseau et on l’a complètement démantelé. Quand j’étais jeune, le train reliait le Lac-Saint-Jean aux grandes villes. C’est terminé. On a tout défait pour construire dans les années 1960 un réseau routier allant de nulle part à nulle part. À l’inauguration du pont Champlain, les automobilistes l’empruntaient souvent sans croiser une auto. Il y roulait de 150 à 200 véhicules par jour. L’État québécois consacrait 12 % de son budget annuel aux autoroutes en 1966. Notre société a fait un formidable appel d’air vers l’auto et les autoroutes, pour la motorisation massive de la population, parce que les États-Unis le faisaient et que ça faisait moderne. Tout ça est très triste. Sauf qu’aujourd’hui, il faut appliquer un principe de réalité. C’est bien beau, la théorie où chaque village aurait son transport collectif. Les choix ont été faits. La population est massivement motorisée. Il y a maintenant 750 autos pour 1000 habitants. Qu’est-ce qu’on peut faire pour lutter contre ça ? On peut militer pour un TGV, et c’est ce que je fais. J’ai 70 ans. Je ne serai pas là pour le voir rouler si on le construit. Je souhaite qu’on y arrive, parce que ce serait une formidable orientation globale donnée par l’État à l’évolution de la société.

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