Une réglementation moins contraignante pour les «nouveaux OGM»

Une machine agricole sème du soya dans la région rurale de Sidrolandia, au Brésil.
Photo: Eraldo Press Associated Press Une machine agricole sème du soya dans la région rurale de Sidrolandia, au Brésil.

Les nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM) issus des techniques de l’édition génomique sont soumis à une réglementation beaucoup moins stricte que les plantes transgéniques dans plusieurs pays, y compris au Canada. Ce qui inquiète les organisations indépendantes qui se portent à la défense de l’environnement et des consommateurs.

Les exigences pour obtenir l’autorisation de mettre en marché et de commercialiser une plante issue de l’édition génomique ont été réduites comme peau de chagrin aux États-Unis. Dans ce pays, on considère que « le résultat de l’édition génomique n’est pas différent du type de mutations qu’on rencontre constamment en amélioration génétique conventionnelle et que, par conséquent, il n’y a pas lieu de les réglementer comme les OGM », résume François Belzile, chercheur en génomique à l’Université Laval.

Le Japon, le Brésil, l’Argentine et l’Australie, notamment, ont adopté une approche similaire.

En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a classé les plantes « éditées génétiquement » dans la même catégorie que les plantes transgéniques, ce qui signifie qu’elles sont soumises aux mêmes règles strictes en matière de procédure d’autorisation, de traçabilité, d’étiquetage (qui est obligatoire pour les OGM de première génération) et de surveillance.

Mais en juillet 2023, la Commission européenne a proposé un projet de loi visant à « considérer comme des plantes conventionnelles les variétés issues des nouvelles techniques génomiques dont les mutations génétiques qui leur ont été apportées pourraient se produire dans la nature sans intervention humaine », relatait le journal Le Monde, le 5 juillet 2023. Ces plantes devraient néanmoins « être enregistrées dans une base d’information publique, avec une obligation d’étiquetage spécifique pour les semences » afin que les agriculteurs sachent ce qu’ils sèment. « Pour le reste, rien ne permettrait au consommateur de différencier un produit conventionnel d’un produit issu de ces technologies. »

Craintes

Cette proposition d’allégement des règles suscite toutefois une vive opposition de la part de certains pays membres et des ONG environnementales.

« Imposer sans raison une réglementation trop contraignante serait la garantie que ces avancées ne profitent qu’à un très petit nombre d’entreprises capables d’assumer le coût de l’homologation [une dizaine de millions d’euros], comme c’est le cas actuellement pour les plantes transgéniques », ont fait valoir des chercheurs le 30 octobre 2023 dans une tribune parue dans Le Monde.

Pour sa part, le Canada ne regarde pas nécessairement la façon par laquelle la modification génétique a été apportée et se concentre plutôt sur le produit final, résume Jean-Benoît Charron, professeur à la Faculté d’agriculture et de sciences environnementales de l’Université McGill. Les lignes directrices de Santé Canada publiées en 2022 stipulent que parmi les produits alimentaires issus de la sélection végétale, y compris l’édition génomique, seuls ceux « répondant à la définition d’un aliment nouveau doivent faire l’objet d’une évaluation obligatoire avant d’en autoriser la vente au Canada », et ce, peu importe qu’ils aient été « mis au point par la sélection conventionnelle, l’édition génique ou d’autres méthodes de modification génétique ».

Ces lignes directrices « identifient cinq catégories de caractéristiques — qu’une plante peut présenter et qui en fait un aliment nouveau — qui justifieraient une évaluation d’innocuité avant qu’elle ne soit introduite dans l’approvisionnement alimentaire canadien ». Sont notamment considérées comme « aliment nouveau » : les plantes exprimant « une protéine endogène altérée qui présente une similarité significative avec un allergène ou une toxine connus » ; les plantes présentant des modifications dans leur composition en nutriments clés, ainsi que « sur les voies métaboliques liées à la composition nutritionnelle » de la plante ; les aliments dérivés de plantes contenant de l’ADN étranger.

« De nombreuses variétés végétales mises au point à l’aide de technologies d’édition génique ne répondent pas à la définition d’un “aliment nouveau” et ne sont donc pas tenues de faire l’objet d’une notification préalable à la mise en marché », précise dans un courriel André Gagnon, conseiller en relations avec les médias au service Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada.

« Cette réglementation est basée sur ce qu’on appelle les végétaux à caractère nouveau. Si le produit obtenu est quelque chose qu’on n’a jamais vu dans le milieu agricole et dans le système alimentaire, on va devoir le regarder de près. On ignore tout ce qui a trait à la méthode par laquelle le changement génétique en cause a été effectué, que ce soit par des croisements, par la mutagenèse, par la transgenèse, ou par l’édition génomique », explique M. Belzile.

Lourdeur réglementaire

Cet allégement de la réglementation par rapport à ce qu’il en était pour les OGM conventionnels réjouit tous les chercheurs pratiquant l’édition génomique. « On a tellement de projets [de plantes transgéniques] en cours dans les cartons qu’on ne peut pas mener à bien et mettre en marché en raison du très grand fardeau réglementaire qui peut coûter des millions de dollars ! Seules les grosses compagnies, les multinationales peuvent assumer ce fardeau. Alors qu’avec l’édition génomique, un chercheur universitaire, comme moi, peut le faire parce que les exigences réglementaires sont beaucoup moindres », témoigne le chercheur Jaswinder Singh de l’Université McGill.

La lourdeur réglementaire imposée aux plantes transgéniques et les coûts qui y sont associés ont fait en sorte que les compagnies ont produit surtout des plantes, comme le maïs, le canola et le soya, qui sont cultivées à grande échelle, afin d’amortir ces coûts, fait remarquer M. Belzile. « Tous les chercheurs dans le milieu universitaire se sont éloignés du développement de variétés transgéniques, simplement parce que les perspectives de commercialisation étaient nulles. Il n’y a pas une université au pays qui avait les ressources pour passer à travers à la fois l’élaboration d’une espèce transgénique et la lourdeur réglementaire. »

Thibault Rehn, coordinateur chez Vigilance OGM, s’inquiète de ce manque de précaution de la part des instances réglementaires canadiennes. « Il n’y aura plus aucune possibilité, même si le gouvernement le souhaitait, de mettre en place un étiquetage », dit-il. « Les agriculteurs bios craignent cette législation, parce que la certification bio interdit l’utilisation de tout OGM. Ces nouveaux OGM représentent donc une menace à l’agriculture bio d’une façon générale. »

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