Québec propose une loi pour libérer la parole sur les campus

Québec a déposé un projet de loi sur la liberté universitaire qui vise à « favoriser les débats » dans un contexte pédagogique, à empêcher la censure et à permettre l’utilisation de tous les mots, même les plus controversés. Enseignants et étudiants sont tout de même invités à agir avec discernement dans le climat de polarisation qui règne sur les campus.
Le projet de loi 32, présenté mercredi, obligera les universités à adopter une politique vouée à la défense de la liberté de l’enseignement et de la recherche. Ce mécanisme doit aussi permettre aux étudiants de porter plainte pour des propos ou des comportements de professeurs jugés inappropriés. Les universités devront mener des enquêtes et formuler des recommandations pour protéger la liberté des enseignants et maintenir un climat propice aux apprentissages.
Les professeurs doivent pouvoir aborder « des idées et des sujets qui sont susceptibles de choquer », a fait valoir mercredi la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann. Elle reprend l’avis de la commission sur la liberté universitaire, dirigée par Alexandre Cloutier, selon lequel « les salles de classe ne peuvent être considérées comme des espaces sécuritaires ».
« On va pouvoir utiliser tous les mots dans le contexte pédagogique, académique. […] Il n’y aura pas de censure dans un contexte pédagogique », a ajouté la ministre McCann.
Les établissements ne pourront pas non plus obliger les professeurs à avertir leurs étudiants s’ils prévoient aborder des sujets potentiellement traumatisants en classe. Les enseignants gardent toutefois la liberté de faire de tels « traumavertissements » s’ils le jugent pertinent.
Accueil favorable
Pour le moment, le projet de loi a été plutôt bien accueilli dans le milieu universitaire, malgré quelques réserves. La ministre McCann reprend les principales recommandations formulées l’automne dernier par la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire. Alexandre Cloutier, vice-recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui a présidé cette commission, a indiqué être satisfait de la réponse du gouvernement.
Le projet de loi « permet d’aborder des sujets qui sont sensibles ou délicats », a-t-il rappelé. Les principes édictés dans la loi favoriseront un traitement uniforme de la liberté universitaire dans les 18 établissements québécois, selon lui. Alexandre Cloutier estime qu’une loi est nécessaire malgré les réserves des recteurs, qui défendent l’autonomie des universités.
« De tout temps — il faut aller lire le rapport de la commission Parent —, on a clairement dit que l’autonomie universitaire était un équilibre délicat entre les orientations qui sont données par le gouvernement et cette nécessité de respecter [l’autonomie des établissements] », a réagi Alexandre Cloutier.
Le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), qui représente les 18 universités québécoises, a indiqué vouloir étudier le projet de loi avant de le commenter.
Défendre les professeurs
Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Jean Portugais, se réjouit lui aussi de la loi proposée. « J’ai entendu souvent les recteurs s’abriter derrière l’autonomie universitaire pour ne pas défendre correctement leurs professeurs qui ont la liberté académique. On l’a vu avec ce qui s’est passé à Ottawa [les mésaventures d’une chargée de cours ayant mentionné le mot en n] et dans d’autres universités. La loi va clarifier les choses de ce point de vue là, n’en déplaise aux recteurs. Ils doivent être les premiers défenseurs de cette question-là dans leurs propres institutions », affirme le représentant de 8200 professeurs québécois.
Il dit souhaiter que le projet de loi protège les professeurs qui critiquent leur université ou qui tiennent des propos scientifiques allant à l’encontre de consensus sociaux. « Des gens se retrouvent devant des comités de discipline pour une déclaration qui n’a pas plu à monsieur le recteur, à madame la doyenne. […] C’est ce qu’on voit actuellement en Russie, vous avez un pouvoir politique trop fort qui empêche les gens de s’exprimer librement. »
Une liberté sous pression
Les syndicats ont réagi positivement au projet de loi. La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN) souhaite d’ailleurs que la loi s’applique aussi aux cégeps, qui vivent les mêmes menaces à la liberté d’enseignement que les universités.
La fédération estime de plus que la ministre McCann aurait dû retenir la recommandation de la commission Cloutier de « rendre le droit à la liberté académique supérieur aux autres obligations juridiques des enseignantes et des enseignants. Une telle mesure est nécessaire afin de protéger les enseignantes et les enseignants contre, notamment, les invocations abusives au devoir de loyauté ou les poursuites excessives ».
La FNEEQ s’inquiète aussi de la portée de l’article 6 du projet de loi, qui permet à Québec « d’ordonner à un établissement d’enseignement de prévoir dans sa politique tout élément qu’il indique » afin de préserver la liberté universitaire. « Par exemple, la ministre disposerait-elle d’une forme de veto ou pourrait-elle dicter des correctifs à la politique d’un établissement qui ne serait pas conforme à ses valeurs ? Il s’agit de menaces sérieuses à l’autonomie et à la liberté universitaire. »
Le président de la Fédération de la recherche et de l’enseignement universitaire du Québec (FREUQ-CSQ), Vincent Beaucher, espère de son côté que « la poursuite des travaux sur le projet de loi permettra de préciser davantage la composition des comités liés aux politiques que les établissements doivent dorénavant adopter. Il nous apparaît crucial que les chargées et chargés de cours ainsi que le personnel de la recherche soient assurés d’être représentés dans ces comités ».
L’Union étudiante du Québec (UEQ) insiste aussi pour que la communauté étudiante soit représentée sur ces instances. Cela rassurerait les étudiants sur l’intégrité du processus d’enquête en cas de plainte portant sur les agissements d’un professeur, souligne Jonathan Desroches, président de l’UEQ.