Quand Néandertaliens et hommes modernes se sont rencontrés…

Une photo prise en 2021 montre la reconstruction du visage du plus ancien Néandertalien trouvé aux Pays-Bas, surnommé Krijn, au Musée national des antiquités de Leyde.
Photo: Bart Maat ANP/Agence France-Presse Une photo prise en 2021 montre la reconstruction du visage du plus ancien Néandertalien trouvé aux Pays-Bas, surnommé Krijn, au Musée national des antiquités de Leyde.

Une analyse des génomes d’hommes modernes anciens et actuels a permis d’en savoir un peu plus sur quand et comment les Néandertaliens et les premiers hommes modernes sortis d’Afrique se sont rencontrés et se sont accouplés. Un article publié dans la revue Science relate ces découvertes, qui nous en apprennent également davantage sur les traces indélébiles que ces croisements ont générées dans le génome des humains d’aujourd’hui.

Pour élucider le legs que nous a laissé Homo neanderthalensis, des chercheurs du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology à Leipzig, en Allemagne, et de l’Université de Californie à Berkeley ont analysé les génomes de 59 hommes modernes ayant vécu entre 45 000 et 2200 ans avant le présent et de 275 humains actuels appartenant à diverses populations du monde. Pour effectuer leur étude, ils ont utilisé comme référence les génomes de quelques Néandertaliens et de quelques Africains contemporains.

L’analyse leur a d’abord permis de mettre en évidence des traces néandertaliennes dans tous les individus d’origine non africaine. Elle a permis de confirmer qu’entre 1 % et 2 % du génome de la plupart des humains non africains vivant aujourd’hui proviennent des Néandertaliens, cette espèce du genre Homo qui a vécu en Europe, au Moyen-Orient et en Asie centrale, et qui s’est éteinte il y a environ 40 000 ans. Chez les Asiatiques de l’Est, ce legs néandertalien est approximativement 30 % plus important que chez les Eurasiens de l’Ouest.

L’analyse indique aussi qu’un seul groupe de Néandertaliens — ou plusieurs populations étroitement apparentées — aurait contribué à la présence de ces traces néandertaliennes dans le génome des hommes modernes.

La longueur des segments d’ADN d’ascendance néandertalienne qui sont présents dans le génome des hommes modernes a fourni des indices sur le moment et la durée du flux génique, c’est-à-dire du passage de gènes des Néandertaliens aux hommes modernes. Compte tenu du fait que ces segments raccourcissent un peu à chaque génération en raison des recombinaisons du matériel génétique lors de la fécondation, les chercheurs ont déterminé que le flux génique aurait perduré pendant près de 7000 ans et serait survenu il y a entre 50 000 et 43 500 ans. Ce qui concorde avec les preuves archéologiques recueillies de la cohabitation d’Homo sapiens et d’Homo neanderthalensis en Europe.

« Ces dates suggèrent que la majeure partie de la migration hors d’Afrique s’est passée pas plus tard qu’il y a 43 500 ans », soulignent les auteurs dans leur article.

Ils avancent par ailleurs que « la diversification des hommes modernes hors d’Afrique pourrait avoir commencé pendant ou tôt après le flux génique. Cela pourrait expliquer en partie les différents niveaux d’apport néandertalien parmi les populations non africaines, et aussi réconcilier nos dates avec les preuves archéologiques de la présence d’hommes modernes en Asie du Sud-Est et en Océanie il y a environ 47 000 ans. »

Les chercheurs ont également déterminé que 62 % des segments d’ADN néandertaliens se trouvaient dans les autosomes, soit les chromosomes non sexuels, et 20 % au sein du chromosome sexuel X. Ils ont également remarqué que de grandes zones du génome des hommes modernes ne comprenaient aucun matériel d’origine néandertalienne, zones qu’ils appellent « déserts génétiques ».

Des séquences d’ADN bénéfiques

Dans le but d’identifier les segments néandertaliens qui auraient été retenus par sélection naturelle en raison des bénéfices qu’ils apportaient aux hommes modernes, les chercheurs ont calculé leur fréquence au sein du génome d’individus anciens et actuels originaires d’Eurasie de l’Ouest. Ils se sont ainsi basés sur le fait que les segments néandertaliens qui contenaient des allèles (séquences d’ADN) bénéfiques ont dû voir leur fréquence s’accroître au cours des générations, alors que ceux portant des allèles délétères ont été éliminés, conduisant de ce fait à des zones « désertiques » dans le génome.

Les chercheurs ont ainsi identifié 86 segments néandertaliens (contenant 347 gènes) présentant une fréquence élevée autant chez les anciens individus que chez les contemporains. Cela laisse penser que ces segments renferment des variants qui ont fourni des avantages adaptatifs immédiats aux premiers hommes modernes arrivant d’Afrique qui devaient faire face, en Europe, à des conditions environnementales plus rigoureuses, avancent les scientifiques. Dans ces segments, ils ont trouvé des gènes impliqués dans la pigmentation de la peau, dans le métabolisme et dans l’immunité.

Les chercheurs ont aussi repéré 91 segments néandertaliens (renfermant 169 gènes) particulièrement fréquents chez les humains d’aujourd’hui, mais qui l’étaient beaucoup moins chez les anciens individus. « Ce qui indique que ces régions contiennent probablement des variants génétiques qui se sont avérés profitables beaucoup plus tard », expliquent-ils.

Par exemple, le gène BNC2, qui joue un rôle dans la pigmentation de la peau, avait déjà une fréquence d’environ 22 % chez les individus plus vieux que 30 000 ans. Et il présente une fréquence d’environ 65 % chez les humains d’aujourd’hui. Ces fréquences signifient que ces variants (formes d’un gène) néandertaliens se sont avérés bénéfiques immédiatement, et leur importance s’est même accrue au cours du temps.

Les chercheurs estiment que la disparition des segments néandertaliens vraisemblablement sans intérêt ou néfastes a, quant à elle, eu lieu très tôt. Car « les déserts au sein du génome se sont formés rapidement après l’initiation du flux génique ».

L’ensemble de ces informations sur l’histoire du flux génique d’Homo neanderthalensis vers nous, Homo sapiens, nous informe un peu plus sur les origines de l’humain et sur son adaptation.

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