La prorogation du Parlement est contestée en Cour fédérale par deux citoyens

Deux citoyens contestent en Cour fédérale la légalité de la prorogation du Parlement canadien, qui a suspendu les activités parlementaires au début du mois de janvier.
Ce débat constitutionnel prend sa source dans les événements du 6 janvier 2025 à Ottawa : ce jour-là, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé son intention de démissionner de son poste de premier ministre une fois qu’un nouveau chef libéral serait choisi. Au même moment, il a fait savoir qu’il avait conseillé à la gouverneure générale de proroger la 44ᵉ session du Parlement jusqu’au 24 mars 2025.
Dès le lendemain, deux citoyens ont déposé une demande en justice pour contester la légalité de cette recommandation de Justin Trudeau, alléguant qu’il a bafoué le principe de la souveraineté parlementaire — qui signifie que le pouvoir législatif l’emporte sur les pouvoirs exécutif et judiciaire.
Deux résidents de la Nouvelle-Écosse — qui sont soutenus par le Centre juridique pour les libertés constitutionnelles — demandent à la Cour fédérale de préciser la portée du pouvoir du premier ministre de recommander une prorogation au gouverneur général, ainsi que de déclarer que le Parlement n’a pas été prorogé en janvier dernier.
Selon les deux citoyens à l’origine de cette contestation constitutionnelle, David MacKinnon et Aris Lavranos, le premier ministre a compromis la capacité du Parlement à demander des comptes au gouvernement — et ce, à un moment où le Canada fait face à des défis majeurs dans ses relations avec les États-Unis, notamment en raison des menaces du président américain, Donald Trump, d’imposer des tarifs sur les exportations canadiennes — depuis concrétisées en ce qui concerne l’aluminium et l’acier. Un Parlement prorogé ne peut pas répondre adéquatement à une telle « menace », estiment-ils, notamment car il ne peut pas adopter de lois.
Dans la procédure qu’ils ont déposée, ils allèguent que Justin Trudeau n’a pas fourni de justification « raisonnable » pour cette prorogation du Parlement, qui doit durer jusqu’au 24 mars.
Si M. Trudeau a soutenu que le Parlement était « paralysé » depuis des mois, cette situation résulte de ses propres actes, argumentent-ils. De plus, M. Trudeau a évoqué le 6 janvier la tenue d’une course à la chefferie pour le Parti libéral, puisqu’il tirait sa révérence. Or, une course à la chefferie, « un objectif partisan », ne fait partie des « justifications raisonnables » pour la suspension du Parlement, a plaidé l’avocat des citoyens, Me James Manson.
Dans l’histoire du pays, aucune demande de prorogation n’a été refusée.
Les liens entre le judiciaire et le politique en question
Cette affaire porte sur les limites du pouvoir de prorogation du premier ministre, et « il doit y avoir une limite », a lancé Me Manson, tout en reconnaissant naviguer « en territoires inconnus » avec ce débat juridique, pour lequel la jurisprudence se fait rare.
Les échanges étaient soutenus jeudi matin entre lui et le juge en chef de la Cour fédérale, Paul Crampton.
Ce dernier l’a questionné sur « l’intérêt légal », autrement dit, sur le droit de ses clients à porter cette cause devant les tribunaux. Le magistrat s’est aussi interrogé sur le devoir de déférence des cours envers les décisions de la branche politique.
Le procureur général du Canada a déjà donné sa position par écrit, au nom du gouvernement. Il soutient que la décision de proroger le Parlement est essentiellement politique et n’est pas sujette au contrôle de la Cour fédérale.
« Toute intervention par un tribunal serait contraire à l’autorité contraignante, et injustifiée », écrit-il, plaidant qu’il reviendra aux électeurs de sévir, s’ils sont insatisfaits de la recommandation de prorogation formulée par le premier ministre.
Il ajoute qu’un gouvernement continue de fonctionner durant la période de prorogation et que ce fut ici le cas : l’exécutif a rempli ses fonctions alors que le cabinet a continué à travailler, à tenir des rencontres avec les premiers ministres des provinces et aussi lorsque le premier ministre Trudeau a eu des discussions avec le président américain. « Il n’y a aucune preuve devant la Cour que des mesures législatives sont requises dans l’immédiat », peut-on aussi lire.
Les représentations devant la Cour fédérale doivent durer deux jours.