De «nouveaux OGM» font leur apparition

Trente ans après la commercialisation d’une première tomate génétiquement modifiée, résistante à la pourriture, la Flavr Savr, disparue du marché depuis belle lurette, voilà que font leur apparition des super-tomates au goût et aux vertus améliorés qui ont été obtenues à l’aide des nouvelles technologies d’édition du génome. Ces technologies, telles que CRISPR-Cas9, qui sont très différentes de la transgenèse utilisée dans la création des organismes génétiquement modifiés (OGM) traditionnels, seraient en voie de révolutionner le monde de l’agriculture.
Le 13 novembre dernier, des chercheurs chinois affirmaient dans la revue Nature avoir conçu une tomate 30 % plus sucrée que les variétés cultivées commercialement. Pour ce faire, les chercheurs ont fait appel à la technologie CRISPR-Cas9 pour inactiver deux gènes présents dans le génome de la tomate qui contrôlent le contenu en sucre du fruit. En bloquant ces deux gènes, les contenus en glucose et fructose des tomates se sont accrus de 30 %, et ce, sans affecter la taille des fruits et le rendement des cultures.
Une tomate riche en acide gamma-aminobutyrique (GABA), un composé censé pouvoir abaisser la tension artérielle et aider à relaxer, a aussi été mise au point à l’aide de la technique CRISPR-Cas9 et mise en marché par la jeune pousse Sanatech Seed de l’Université de Tsukuba, au Japon. Sanatech Seed a même reçu le feu vert en septembre 2021 pour commercialiser cette tomate sicilienne rouge contenant de quatre à cinq fois plus de GABA que les tomates traditionnelles, dans ce pays, où les gens sont friands d’aliments et de boissons enrichis de cet acide aminé. Cette tomate, chez laquelle on a simplement neutralisé un gène, est la première plante dont le génome a été modifié par CRISPR-Cas9 à avoir été commercialisée.
« Petit réglage sur un gène »
Mais en quoi ces nouvelles technologies d’édition génomique, dont la principale est CRISPR-Cas9, se distinguent-elles de la transgenèse utilisée pour produire des OGM ou, pour être plus exact, des plantes transgéniques ? Essentiellement, « les techniques d’édition génomique permettent d’effectuer une petite mise au point, un petit réglage sur un gène que possède la plante. Nous n’insérons aucun ADN étranger, contrairement à ce qu’on fait pour les OGM [traditionnels] », résume Jaswinder Singh. Ce professeur au Département de sciences végétales de l’Université McGill donne en exemple les OGM, tels que le maïs BT, auxquels on a ajouté un gène bactérien qui n’était pas présent dans le génome de ces plantes. Le maïs BT contient un gène provenant de la bactérie Bacillus thuringiensis, qui confère une résistance aux insectes nuisibles, dont la pyrale.
L’édition génomique ne procède qu’à « de tout petits changements, comme enlever ou insérer à peine quelques nucléotides [les unités de base de l’ADN] dans un gène particulier du génome d’une plante qui peut contenir, comme le soya, un milliard de nucléotides. Le bagage génétique de la plante demeure le même. Alors que, pour produire une plante transgénique, on introduit un nouveau gène [que l’on appelle transgène] pouvant contenir 10 000 nucléotides, et qui, le plus souvent, vient d’une espèce différente, comme une autre plante, un champignon, un animal, une bactérie », précise François Belzile, chercheur en génomique à l’Université Laval.
Une autre différence fondamentale entre les deux approches est la grande précision des technologies d’édition génomique. La principale technique, CRISPR-Cas9, est en fait une paire de ciseaux moléculaire qu’on introduit dans les cellules et qu’on peut positionner sur un gène en particulier. « On peut contrôler l’endroit exact où on envoie cet outil et l’enzyme Cas9 ne fait qu’une chose : une coupure de l’ADN à cet endroit précis. À la suite de cette coupure, les systèmes de réparation de la cellule se mettent en branle pour recoller les brins d’ADN ensemble. La réparation n’est souvent pas parfaitement fidèle à ce qu’il y avait auparavant. Quelques nucléotides seront omis, ajoutés ou substitués. On effectue alors un travail de caractérisation pour voir l’effet de ces petites modifications, qui le plus souvent vont inactiver la fonction du gène visé », précise Jean-Benoît Charron, professeur à la Faculté d’agriculture et de sciences environnementales de l’Université McGill.
Une autre façon de faire consiste à fournir au système CRISPR-Cas9 un tout petit bout d’ADN (appelé ADN donneur) qui contient exactement la modification que l’on désire apporter. Cette modification aura été identifiée au préalable lors de la caractérisation des différentes petites mutations induites par CRISPR-Cas9, ou à la suite de plusieurs années de recherche fondamentale. Le système de réparation de la cellule se charge ensuite d’intégrer ces quelques nucléotides dans le gène visé, explique le chercheur.
« Les techniques d’édition génomique sont tellement précises qu’une fois que la mutation est effectuée, et ce, même si quelquefois il peut y avoir aussi d’autres petits changements non spécifiques [hors de la cible] ici et là dans le génome, on demeure toujours sous le taux de mutations qui se produit naturellement dans les cellules lorsqu’elles se divisent et sous l’effet de certains facteurs de l’environnement. C’est pour cette raison que certains gouvernements sont prêts à les autoriser plus facilement », ajoute M. Charron.
Avec ces deux procédés, on peut donc effectuer les changements désirés à un endroit défini du génome de la plante, tandis que lors de la création d’une plante transgénique, on ne contrôle pas où s’insérera le transgène. « C’est tout à fait aléatoire. On doit ensuite vérifier si la plante contient le transgène. Et si oui, à quel endroit ? Car ces méthodes avaient souvent tendance à insérer plusieurs copies du transgène, notamment à différents endroits. Le niveau de précision est donc nettement moindre. Tout ça pouvait être corrigé par des processus de sélection, mais ça compliquait le travail », souligne M. Charron.
« Plus propre »
« La beauté du système CRISPR-Cas9 réside aussi dans le fait qu’une fois qu’il a accompli sa tâche, la cellule va le dégrader et s’en débarrasser. Il ne s’insère pas dans le génome de la plante, contrairement à ce qui se passe dans l’approche transgénique, où il y a une intégration au niveau du génome. C’est donc beaucoup plus propre », ajoute-t-il.
On effectue l’édition génomique dans les organes floraux, qui sont en quelque sorte les cellules germinales (ovules et spermatozoïdes) de la plante, ce qui assure la transmission de la modification aux prochaines générations.
Finalement, les technologies de séquençage d’aujourd’hui, qui permettent de séquencer le génome des plantes au grand complet et à faible coût, nous donnent la possibilité de lever tous les doutes sur les modifications qui ont été apportées aux plantes lors de l’édition de leur génome, indique M. Charron.
Elles nous permettent de « documenter dans les plus fins détails où ont eu lieu les changements en comparant la variété issue de l’édition génomique à la variété initiale. On peut alors répondre à certains opposants qui avancent qu’il y a peut-être des changements ailleurs que sur la cible qui peuvent s’avérer toxiques et leur prouver avec une certitude absolue que sur un milliard de nucléotides, il y a uniquement deux nucléotides en moins à tel endroit précis, par exemple », ajoute M. Belzile.
« Toutes ces techniques moléculaires ne sont qu’un outil dans notre coffre, un outil très performant dans le cas de l’édition génomique. Mais elles ne seront jamais la solution à tout, elles ne deviendront jamais le Saint-Graal. On doit les utiliser prudemment et ne pas négliger toutes les facettes de l’agriculture, que ce soit les pratiques agricoles, l’épandage des herbicides, etc., croit M. Charron. Le système CRISPR-Cas9 ne remplacera jamais les programmes de sélection végétale classique qui s’échelonnent sur des dizaines d’années, mais il permettra de faire ce travail beaucoup plus efficacement et beaucoup plus rapidement. »
Quels OGM sont présents dans notre assiette ?
Au Canada, les seuls OGM de première génération susceptibles de se retrouver dans notre alimentation sont le canola, sous la forme d’huile, et le soya, sous la forme de lécithine et de tofu. « Même si 80 % du soya cultivé au Québec est génétiquement modifié (GM), le tofu pour la consommation humaine est souvent biologique, ce qui veut dire qu’il est exempt d’OGM et de pesticides de synthèse », précise Thibault Rehn, coordinateur chez Vigilance OGM.
Bien que près de 90 % des cultures de maïs au Québec soient GM, il s’agit de maïs-grain destiné au bétail. Ce dernier se distingue du maïs sucré que l’on mange en épluchette. « En l’absence d’étiquetage obligatoire, rien n’est absolument certain, mais il semblerait qu’il n’y a pas ou très peu de vente de maïs sucré GM au Québec. Et des chaînes de supermarchés, dont Metro, ont inscrit dans leur politique qu’elles ne vendraient pas de maïs sucré GM, de pommes GM, de saumon GM, donc tous les aliments à consommation directe, ce qui exclut les produits transformés », indique M. Rehn.
Il n’y a pas de fruits GM offerts dans nos épiceries : ni tomate, ni fraise, ni pomme, sauf à l’occasion un ananas rose de Del Monte. Santé Canada a autorisé cette année une nouvelle pomme transgénique, l’Arctic Gala, qui brunit moins au contact de l’oxygène. Mais les pomiculteurs, emballeurs et cidreries du Québec se sont engagés à ne pas planter ou transformer cette pomme.
Le saumon génétiquement modifié, qui fut le premier et le seul animal GM à être autorisé pour la consommation humaine, était offert aux Québécois de 2017 à 2023, mais en très petite quantité. « Comme il n’est plus produit au Canada ni aux États-Unis, il n’y a probablement plus de consommation ici », avance M. Rehn.
Exemples de plantes issues de l’édition génétique
Divers projets d’amélioration de plantes agronomiques par la technologie d’édition génétique sont en cours et ont fait l’objet de publications scientifiques. Outre des tomates plus sucrées ou à teneur élevée en GABA, des chercheurs travaillent à la mise au point d’une tomate produisant un précurseur de la vitamine D qui, sous la lumière ultraviolette du soleil, sera convertie en la salutaire vitamine.
Une huile de soya riche en acide oléique a été obtenue en inactivant deux gènes impliqués dans la synthèse des acides gras par la technique d’édition génomique. Cette huile contient 80 % plus d’acide oléique (un acide gras mono-insaturé reconnu pour réduire le cholestérol et l’inflammation), 20 % moins d’acides gras saturés et aucun gras trans, ce qui en fait une huile ayant un meilleur profil pour la santé, et qui se conserve plus longtemps. Cette huile dénommée Calyno est vendue aux États-Unis.
L’équipe de Jaswinder Singh de l’Université McGill utilise l’édition génétique pour créer des variétés de blé, d’orge et d’avoine qui sont résistantes à la germination avant récolte, qui est un gros problème actuellement au Canada et ailleurs dans le monde. « En raison des changements climatiques, il arrive qu’avant la période de récolte, il y ait une chute de neige ou de la pluie suivies de températures élevées. Dans ces conditions de forte humidité et de chaleur, les grains se mettent à germer sur pied avant d’être récoltés. Ces grains sont ainsi endommagés et impropres à la consommation humaine », explique le chercheur.
Qu’est-ce que CRISPR-Cas9 ?
Le système CRISPR-Cas9 (clustered regularly interspaced short palindromic repeats, soit « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées », en français) a été mis en évidence dans les bactéries du lait qui l’utilisent pour se défendre contre des virus qui sont naturellement présents dans le lait. Une fois qu’on eut élucidé son mécanisme d’action, on a vite compris que ce système naturel pourrait devenir un outil fort utile pour corriger une mutation responsable d’une maladie génétique, ou pour introduire une mutation dans un gène que l’on désire modifier dans une plante. Présent dans la plupart des bactéries, ce système est toutefois absent des organismes multicellulaires, d’où la nécessité de l’introduire dans les cellules des plantes que l’on veut améliorer. Mais une fois que les composantes du système ont accompli leur fonction, elles sont dégradées par la cellule.
Les plantes cultivées sont toutes OGM
Pour le grand public et les instances réglementaires, les OGM sont ces plantes et ces animaux auxquels on a ajouté un gène étranger, appelé transgène, appartenant le plus souvent à une autre espèce. Mais à proprement parler, toutes les plantes cultivées qu’on retrouve sur le marché sont des OGM, « en ce sens que leur bagage génétique a été façonné par de multiples croisements entre variétés parfois éloignées, ou par des procédés de mutagenèse », fait remarquer François Belzile, chercheur en génomique des plantes à l’Université Laval.
En effet, depuis plusieurs décennies, on utilise des agents mutagènes physiques (sous forme de rayonnement ionisant) et chimiques pour créer de la variabilité génétique chez des plantes agronomiques, et ainsi obtenir des plantes mutantes qui auraient des caractéristiques intéressantes. Ces mutagenèses induites provoquent des milliers de mutations dans les plantes. Les sélectionneurs n’ont aucun contrôle sur le type de mutations qu’elles engendrent ni sur l’endroit dans le génome de la plante où ces mutations apparaîtront. Ils doivent ensuite effectuer un fastidieux travail de triage des plantes mutantes qui ont ainsi été générées, dans l’espoir de trouver les quelques mutations qui seront utiles parmi les milliers d’autres qui seront néfastes. Ce travail peut nécessiter une bonne dizaine d’années.
Les plantes qu’on obtient actuellement par édition génomique sont également des plantes génétiquement modifiées, que certains qualifient de « nouveaux OGM », en raison de la récente technologie utilisée pour les créer. Mais étant donné que le terme OGM garde une connotation négative dans l’esprit du grand public, on les dénomme plutôt « végétaux issus de l’édition génétique ».
Et lorsqu’on fait référence à ces organismes contenant un gène étranger, que plusieurs dénomment OGM conventionnels ou de première génération, il est plus juste de parler de plantes et d’animaux transgéniques.