Ils sont beaux, mes jeunes

Rendre une discipline abstraite compréhensible pour les jeunes, voire leur permettre de mieux se connaître, est chose courante dans leur parcours en sciences humaines. Dans ce travail sur eux-mêmes où ils deviennent leur propre objet d’analyse, je découvre des trésors. Ces vies devant moi se déploient en brides individuelles qui laissent place aux histoires personnelles, mais également aux traits communs, aux vécus marqués par des similarités. Alors que le temps des Fêtes est à nos portes, je vous offre en cadeau les confidences — si belles et si dures — auxquelles mes jeunes m’exposent.
À une question très existentielle où ils doivent tenter de comprendre qui ils sont à la lumière de ma discipline, la sociologie, sachez, chers parents, que vous avez sur eux une influence déterminante. Bien sûr, ce n’est pas une surprise ! Mais lire, constater et saisir à travers leurs mots le respect qu’ils vous portent est touchant ! Je pense à la place des mères, ces mamans marquantes dans leur soutien, dans leur influence sur l’apprentissage des valeurs de solidarité, d’entraide, d’amour. Ces mamans battantes qui assurent les liens voire la survie, et ce, contre vents et marées, contre la violence, contre la pauvreté, contre l’exclusion.
Ils me parlent aussi de ces pères solides, trop, parfois, qui, au travers des épreuves, du « trop » de travail ou du « pas » de travail, veillent à sécuriser la maisonnée. Ils encouragent les sports, font le taxi en assurant le va-et-vient entre l’aréna, le stade de soccer et le travail « d’étudiant ». Ils me racontent aussi ces pères qui ont mal à leurs émotions et qui peuvent parfois brimer celles de leurs jeunes, non pas en les interdisant, mais en se privant de les exprimer, comme un tabou, même en 2024 !
Ils me racontent aussi ces grands-parents présents et réconfortants, la nourriture qui sent bon, mais aussi les souvenirs nauséabonds des secrets mal gardés. Les valeurs telles que le respect, la famille, le travail, la santé sont parmi celles qui sont les plus largement nommées, partagées.
Ils prennent conscience de leurs privilèges, pour plusieurs, du moins. Ils voient les effets de leur naissance sur la vie qu’ils n’ont pas choisie, mais dont ils ont hérité. Être né dans une famille avec un statut socioéconomique a des conséquences majeures, voire déterminantes. Auraient-ils pu jouer au hockey, faire des voyages et découvrir des parties du monde, faire du ski, jouer au soccer compétitif, suivre des cours de piano, de violon, s’ils n’avaient pas eu les parents qu’ils ont ?
Je dois avouer que ces prises de conscience sont une grande satisfaction pour moi, au-delà de leurs visées pédagogiques. C’est davantage à la lecture de leurs mots que je pense avoir (au moins un peu) atteint mes objectifs de sociologue au collégial.
Ils souffrent aussi, mes jeunes ! Amplement ! Ils souffrent de la pression sociale induite pour beaucoup par les réseaux sociaux. Eh oui, ils sont au fait de leur dépendance à la reconnaissance des « j’aime », qui leur assurent d’être dans le groupe, de suivre la vague, de surfer sur la tendance du jour. Cette pression les étouffe, ils se comparent sans cesse, c’est plus fort qu’eux. Trop mangé ? On se prive. Pas assez musclé, trop de graisse ? On pousse de la fonte jusqu’à la blessure, jusqu’à oser prendre des produits dopants pour améliorer la nature. Pas assez belle ? La peau sans ses pores, les yeux sans les cernes, les courbes sans le flasque, sans le mou. Ça fait mal !
L’autre semble toujours avoir une plus belle vie, plus d’occasions, plus d’amis, plus de popularité, de meilleures notes. L’autre a plus, plus, toujours plus. Pourtant, ils savent que c’est du « fake », que, derrière l’image lisse, il y a des modifications, des retouches, et que la réalité n’est jamais aussi belle.
Tant pis, la comparaison est cruelle et la machine gobe les cerveaux et brutalise les estimes.
Ils sont beaux, pourtant, mes jeunes, ils aspirent à une belle vie malgré les anxiétés, malgré les guerres, malgré la crise du logement et le coût de la vie. Ils veulent y croire. Ils ont besoin de sentir notre confiance en eux. Ils ont besoin de notre ouverture et, surtout, ils ont besoin d’exprimer qui ils sont.
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