Une frontière contre l’humanité, réflexions sur la migration et l’accueil

L’élection de Donald Trump et son projet d’expulsion massive des sans-papiers des États-Unis résonnent jusque chez nous, où certains politiciens québécois proposent de renforcer les patrouilles à la frontière et de réduire les classes de francisation, plutôt que d’investir dans des ressources d’accueil. Ce débat me pousse à réfléchir à la nature des frontières, aux migrations humaines et à la responsabilité d’une société d’accueil.
L’idée de contrôler les frontières et les mouvements de population est, à bien des égards, une invention récente dans l’histoire humaine. Pendant des millénaires, nos ancêtres ont migré librement, que ce soit pour suivre le gibier, pour échapper à la guerre ou simplement pour chercher de meilleures conditions. Ce n’est que lorsque les civilisations ont développé des outils d’administration et de contrôle — écriture, taxation, recensement — que la notion de frontières rigides s’est imposée. Les passeports, visas et permis de résidence sont des constructions bureaucratiques visant à organiser et à classifier les mouvements humains. Mais à quel prix ?
Les êtres humains ont toujours migré, non par caprice, mais par nécessité ou par aspiration. Aujourd’hui encore, les migrations internationales sont motivées par des raisons profondément humaines : la quête de sécurité, d’un meilleur avenir, ou tout simplement d’une vie digne. Limiter cette liberté fondamentale en fermant hermétiquement les frontières revient à nier l’essence même de notre humanité.
Lorsqu’une personne décide de tout quitter pour traverser des continents ou des océans, ce n’est jamais un choix léger. C’est souvent l’ultime recours après avoir épuisé toutes les autres options. Et pourtant, trop souvent, nos institutions répondent à ces individus avec suspicion, en les rejetant pour des motifs administratifs. Refuser l’entrée à quelqu’un qui fuit la misère ou le danger, c’est lui dire : « Retourne mourir chez toi, nous ne voulons pas de toi ici. »
Une richesse immense
En tant que société, nous devons regarder au-delà des chiffres et des formulaires. Oui, l’accueil a un coût, mais c’est aussi une richesse immense. Mon histoire familiale en témoigne. Issue d’une immigration familiale du côté maternel dans les années 1980, ma grand-mère, bien qu’elle ait coûté de l’argent au système en soins de santé et en pension de vieillesse, a vu ses enfants et petits-enfants contribuer massivement à la société québécoise, ceux-ci étant devenus avocates, dentistes, ingénieurs, entrepreneurs… Ensemble, non seulement nous avons redonné ce qui avait été investi pour nous, mais nous avons aussi enrichi cette terre qui nous a accueillis.
Pourtant, ce n’est pas qu’une question économique. L’accueil est une question de dignité humaine. Ceux qui migrent le font pour bâtir un avenir meilleur, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs familles et leurs communautés. Et à travers leur courage et leurs sacrifices, ils participent à bâtir nos sociétés, à les diversifier, à les renforcer.
Croire qu’une société parfaite, sans injustices, mettrait fin à la migration, c’est faire preuve d’un privilège aveugle. Ce n’est pas parce que nous avons la chance de vivre dans un lieu stable et prospère que nous pouvons refuser ce droit fondamental à d’autres. La dernière liberté d’un être humain face à l’oppression, à la violence ou à la misère est de pouvoir « voter » avec ses pieds.
Alors, que voulons-nous ? Une société refermée sur elle-même, paralysée par la peur de l’autre, ou une société ouverte, prête à investir dans l’avenir, à accueillir ceux et celles qui cherchent à s’épanouir sous notre soleil ? Si nous choisissons la deuxième option, il faut cesser de voir les frontières comme des lignes immuables et les migrations comme des menaces. Nous devons les envisager pour ce qu’elles sont réellement : des occasions d’enrichissement humain et collectif.
L’accueil n’est pas une perte, c’est un investissement. Chaque personne qui traverse une frontière pour se reconstruire est une graine qui, avec un peu de soins, peut devenir un arbre, et cet arbre portera des fruits. Certains fruits seront imparfaits, mais dans l’ensemble, la forêt qu’ils créeront contribuera à rendre notre société plus résiliente, plus forte et plus humaine.
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