Viola Léger laisse l’Acadie orpheline

Pour son public et les fidèles de l’oeuvre d’Antonine Maillet, Viola Léger demeurera toujours « la vraie Sagouine », qu’elle n’interpréta pas moins de 3000 fois, en français et en anglais, aux quatre coins du pays comme à l’étranger.
Fred Chartrand Archives La Presse canadienne Pour son public et les fidèles de l’oeuvre d’Antonine Maillet, Viola Léger demeurera toujours « la vraie Sagouine », qu’elle n’interpréta pas moins de 3000 fois, en français et en anglais, aux quatre coins du pays comme à l’étranger.

La mémère préférée des Acadiens, celle qui incarnait avec tant de justesse la Sagouine, cette icône attachante au franc-parler coloré, est décédée samedi. L’actrice, professeure et ancienne sénatrice Viola Léger s’est éteinte à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, à l’âge de 92 ans.

Elle porta sur scène durant 50 ans la langue verte et les mots anciens d’une Acadie à la voix étouffée par la cruauté de l’histoire. Viola Léger incarna pas moins de 3000 fois la « Sagouine », cette « fille de pêcheur de morue, fille à matelots, puis femme de pêcheur d’huîtres et d’éperlans » qui déclame si bien la misère et les plaisirs de la vie acadienne.

Pour les fidèles de l’oeuvre d’Antonine Maillet, Viola Léger demeurera toujours « la vraie Sagouine ».

« La Sagouine a fait connaître l’Acadie et une Acadie particulièrement, qui est celle des personnes qu’on avait négligées. Quand on parle d’une sagouine, c’est une laveuse de places, une fourbisseuse de planchers. Qui aurait pu imaginer que [ce serait] la personne la plus célèbre en Acadie ? » s’est souvenue l’autrice Antonine Maillet en entrevue, samedi soir. « On perd une personne qui a été proche de moi, parce que nous avons eu une réelle amitié, mais c’est ce que je lui dois, à Viola : parce que, si elle n’avait pas joué la Sagouine, la Sagouine [n’aurait] pas eu le succès qu’elle a eu, et donc [je n’aurais pas] reçu la reconnaissance comme écrivain que j’ai reçue », a-t-elle déclaré, disant souffrir de sa perte.

La célèbre comédienne s’était retirée de la vie publique en février 2017, peu après avoir subi un accident vasculaire cérébral, qui lui avait laissé des séquelles telles que des problèmes de mémoire et des troubles de la vision.

Des hommages de partout

Les condoléances et les hommages ont afflué de partout cette fin de semaine en direction de Viola Léger.

La Société nationale de l’Acadie a rappelé que la comédienne incarnait, à elle seule, le parcours de l’Acadie moderne. « En acceptant, en 1971, le rôle de la Sagouine que lui offrait sa créatrice, Antonine Maillet, Viola Léger ne pouvait pas se douter qu’elle allait endosser non seulement le rôle d’un personnage unique, mais aussi qu’elle deviendrait une icône de notre peuple et sa fière porte-parole », a souligné le président de la Société nationale de l’Acadie, Martin Théberge, dans une déclaration écrite.

Le ministre québécois de la Culture, Mathieu Lacombe, a présenté ses condoléances sur Twitter, indiquant qu’il s’agissait d’une grande perte « pour l’Acadie et pour nous tous aussi ».

« Une grande dame nous quitte, après avoir marqué l’imaginaire de plusieurs générations avec la Sagouine, a-t-il écrit.

« Viola a donné vie à la Sagouine et, par le fait même, elle a donné à sa façon espoir à l’Acadie. Tout d’un coup, sur une scène, il y avait un personnage criant de vérité qui disait tout haut ce que les gens pensaient tout bas », ont rappelé par écrit les responsables du village théâtral du « Pays de la Sagouine », à Bouctouche.

De l’enseignement au théâtre

Née en 1930 d’une famille acadienne exilée au Massachusetts, Viola Léger a surtout grandi au Nouveau-Brunswick, où elle a étudié pour devenir enseignante.

Elle est encore sur les bancs d’école lorsqu’elle fait la connaissance d’Antonine Maillet, alors professeure. Elle nouera avec elle une amitié solide qui influera sur sa vie professionnelle à tout jamais.

En 1967, alors qu’elle frôle la quarantaine, Viola Léger part aux États-Unis pour apprendre l’enseignement du théâtre à l’Université de Boston, puis s’envole pour Paris pour faire ses premières armes en interprétation théâtrale à l’École Jacques Lecoq.

C’est à cette époque qu’elle recevra un coup de fil d’Antonine Maillet qui lui demandera si elle est intéressée par le rôle de La Sagouine , le personnage d’une vieille femme de ménage acadienne qu’elle vient de créer.

Ce rôle prendra d’abord vie sur les planches d’un théâtre néo-brunswickois en 1971, puis sera présenté au théâtre du Rideau vert, à Montréal, l’année suivante, toujours sous les traits de Viola Léger. La Sagouine visitera par la suite les théâtres de nombreuses villes, un peu partout au Canada, mais aussi en Europe.

Ce rôle d’une vie lui collait tellement à la peau que certains en étaient venus à confondre l’actrice et le personnage légendaire.

Avec La Presse canadienne

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