La Californie est-elle toujours un eldorado?

La puissance des États-Unis, c’est aussi celle de sa géographie, à savoir un territoire colossal — ici, je paraphrase le journaliste du Devoir Michel David lorsqu’il affirme à juste titre que le Canada est doté d’une géographie colossale —, mais surtout une répartition exemplaire de ses atouts à l’intérieur de son domaine.
À bien y penser, aucun pays au monde, très étendu ou pas, adversaire ou partenaire des États-Unis, n’est doté d’une aussi remarquable répartition de ses composantes, que celles-ci soient démographiques, urbaines, agricoles, infrastructurelles, industrielles, portuaires, voire militaires. Une telle richesse et un tel équilibre caractérisent aussi la Californie, ce pays dans un pays.
La Californie a longtemps fait rêver les Espagnols, puis les Mexicains et enfin les Américains. Son adhésion à l’Union en 1850 a constitué une étape fondamentale dans la conquête territoriale de l’Ouest et dans la construction politique de l’empire américain, même si plusieurs États ne se sont joints formellement à ce nouvel empire que plus tardivement. Cette adhésion survint au moment de la ruée vers l’or de… Californie (vers 1848-1856) ! Et juste après que celle-ci eut refusé d’inscrire l’esclavage dans sa Constitution, ce qui représentait déjà un indice de son progressisme latent !
Déjà, les rivages du Pacifique, les grandes baies bien abritées telles celles de San Francisco et de San Diego, les terres fertiles de la Vallée centrale, apparemment bien alimentées en eau par les massifs montagneux environnants et, enfin, le climat de la partie méridionale appartenant à ce que l’on appelle le Sun Belt, tout cela s’avérait très prometteur.
La puissance californienne
Pour l’essentiel, la Californie a tenu ses promesses, notamment en comptant parmi les États au revenu par habitant le plus élevé. Même si la Californie n’est qu’au troisième rang des États en superficie, derrière l’Alaska et le Texas, elle est première sur le plan de la population (avec près de 40 millions d’habitants), de la production agricole (avec plus de 11 % de la production du plus grand producteur mondial) et du nombre d’emplois industriels ! On ignore aussi trop souvent qu’elle est un important producteur pétrolier. L’État détient notamment le plus grand gisement du pays (Midway-Sunset).
De plus, la Californie domine le monde de la recherche et de l’innovation scientifiques américaines avec sa demi-douzaine de grandes universités et, plus encore, sa Silicon Valley, toutes choses confirmées par la pléthore de brevets détenus par ses chercheurs. Avec Hollywood, elle trône bien sûr au sommet du monde du divertissement.
Enfin, en matière d’installations militaires, elle a peu d’équivalents au pays. Elle compte notamment plusieurs bases navales, dont celle de San Diego, et plusieurs bases aériennes, dont celle d’Edwards, située dans le désert de Mojave. Il n’est donc pas surprenant que la Californie soit depuis le XIXe siècle une destination majeure pour les migrants provenant de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, en quête de l’eldorado.
La fragilité d’une ambition prométhéenne
Une fois cela dit, il faut retenir que la Californie a ses failles, et ce, depuis longtemps. Et ici, je ne fais même pas allusion aux menaces d’origine géologique, comme celle que représente la dangereuse séismicité de cet État, dont la faille de San Andreas. Non, je pense au climat : la Californie doit depuis longtemps composer avec le manque d’eau. Non seulement une partie non négligeable de son territoire est désertique, en particulier dans le sud de l’État, mais même la Vallée centrale est, depuis son essor au XIXe siècle à titre provisoire de première région productrice de blé au pays, menacée par les pénuries d’eau.
Sauf qu’ici comme ailleurs — reportez-vous à l’agriculture en Israël et en Ouzbékistan, des pays eux-mêmes largement désertiques —, la fuite en avant grâce à l’innovation a provisoirement permis de faire fi des pénuries, pensons à l’irrigation par percolation ou au recours massif à la chimie agricole. Déjà, le secteur agricole était — et demeure — en concurrence avec les secteurs industriel et urbain en matière de consommation d’eau. Une nouvelle fuite en avant s’engagea dans les années 1930 avec l’aménagement du lac Mead, cet immense réservoir d’eau douce, le plus étendu des États-Unis.
Créé de toutes pièces à la frontière entre le Nevada et l’Arizona, ce lac artificiel avait permis à plusieurs États déjà aux prises avec de forts déficits en eau (surtout l’Arizona, la Californie et le Nevada, dont l’arrogante ville de Las Vegas) de poursuivre leurs excès de croissance agricole et urbaine. Cela comprenait la Vallée centrale californienne, de plus en plus parcourue par des canaux et des aqueducs, tout comme le sud de l’État.
L’effondrement ?
Dans un très remarquable article paru dans le dernier numéro de Liberté, Alexis Riopel, aussi reporter spécialisé en environnement au Devoir, revient sur le tragique incendie survenu en août 2023 sur l’île hawaïenne de Maui. Se référant à la thèse de l’effondrement élaborée par Jared Diamond, son article est titré « C’est ça, l’effondrement ? ». Les grands incendies qui dévastent actuellement la région de Los Angeles, insolente cité tentaculaire du Sud californien, ne sont-ils pas une autre manifestation, évolutive, de cet effondrement, suivant une logique décrite avec nuance et subtilité par Alexis Riopel ?
Aux prises avec, entre autres, les bouleversements climatiques, la baisse du niveau du lac Mead, la croissance des écarts de richesse, la dégradation urbaine et un affrontement annoncé avec un pouvoir fédéral de plus en plus irrationnel, l’eldorado américain ne flirte-t-il pas dangereusement avec l’effondrement ?
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