Amazon, une entreprise contre les travailleurs

L’entreprise mène des politiques radicalement antisociales, note l’auteur.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne L’entreprise mène des politiques radicalement antisociales, note l’auteur.

Mercredi, tôt en matinée, la direction d’Amazon a annoncé la fermeture de ses sept entrepôts situés au Québec, et ce, dans les deux mois à venir. Alors que la compagnie était en expansion dans la province ces dernières années, une seule chose peut expliquer ce revirement : la volonté de freiner la syndicalisation en cours.

En effet, en mai 2024, l’entrepôt DXT4 de Laval est devenu le premier dont les employés sont syndiqués au Canada. L’entreprise craignait de manière évidente l’élargissement du mouvement, puisqu’elle a été condamnée en août 2024 par le Tribunal administratif du travail concernant ses pratiques antisyndicales dans l’entrepôt YUL2, situé à Lachine. Dans ces circonstances, nous devons nous questionner sur le modèle d’affaires d’Amazon et sur la réplique sociale à lui donner, car c’est bien notre régime de droit et l’ensemble des travailleurs qui sont ici menacés.

Une entreprise antisociale

Créée dans les années 1990 par Jeff Bezos, la compagnie Amazon a su profiter habilement des possibilités offertes par la vente en ligne pour se développer puis diversifier ses activités. Cela dit, il n’a pas fallu longtemps pour que ses pratiques belliqueuses sur le plan commercial, son traitement malveillant des employés et ses stratégies fiscales douteuses défraient la chronique.

Deux points retiennent en particulier l’attention. D’abord, les cadences extrêmes imposées aux travailleurs des entrepôts et aux livreurs ont provoqué plusieurs scandales, notamment liés au fait que des employés ont rapporté ne pas pouvoir se rendre aux toilettes et devoir uriner dans des bouteilles pour tenir le rythme. La conséquence la plus importante demeure pourtant les nombreuses blessures qui découlent des cadences imposées. Selon les données disponibles les plus récentes, c’est chez Amazon que l’on trouve le plus de travailleurs blessés en nombre absolu et au prorata dans leur secteur d’activité aux États-Unis.

Ensuite, l’entreprise mène des politiques radicalement antisociales, en faisant tout son possible pour éviter de payer des impôts et en luttant contre les droits des travailleurs, notamment la liberté d’association syndicale.

Alors que la fortune de Jeff Bezos oscille autour de 200 milliards de dollars américains et qu’Amazon apparaît comme la deuxième compagnie au monde en importance (avec un chiffre d’affaires de 574,8 milliards de dollars américains en 2023), il est inacceptable de constater son opposition aux travailleurs et aux pays où elle opère. En plus de maltraiter ses employés, la compagnie s’attaque de manière ouverte à l’État de droit qui garantit la liberté d’association et multiplie les stratégies pour ne pas payer d’impôts. Elle refuse de contribuer aux infrastructures dont elle profite — ne serait-ce que les routes qu’empruntent ses livreurs — ou qui permettent de garder ses travailleurs en santé.

Amazon s’oppose au vivre-ensemble et à une conception robuste des droits sociaux. Alors que la compagnie a réalisé des ventes nettes d’une valeur approximative de 13,5 milliards de dollars en 2021 au Canada, elle n’a payé que 431 millions de dollars en impôts directs, un ratio d’à peine 3,2 % ! En fermant ses entrepôts québécois et en licenciant plus de 1700 travailleurs parce qu’une partie d’entre eux a osé se syndiquer, l’entreprise démontre hors de tout doute son irrespect envers les droits fondamentaux.

La nécessité d’une riposte

Face au mastodonte Amazon, que pouvons-nous faire ?

D’abord, il faut impérativement que nos gouvernements réagissent avec force en dénonçant les pratiques antisyndicales (et donc antidémocratiques) de la multinationale. En plus des paroles, Ottawa et Québec doivent imposer immédiatement des mesures de rétorsion à Amazon, avec l’option de geler entièrement ses activités au pays si elle ne change pas sa décision de licencier ses travailleurs pour des raisons politiques. Si l’entreprise menace de partir, il ne faudra pas céder, mais plutôt assumer que nous pouvons très bien vivre collectivement sans cette compagnie monopoliste et antisociale.

Dans un tel scénario, il sera de la responsabilité du gouvernement de requalifier tous les travailleurs qui perdront leur emploi, sans exception, car ce ne sont pas les ouvriers qui doivent faire les frais des manigances de Bezos et consorts. Cela dit, il est peu probable que les politiciens agissent avec fermeté par eux-mêmes. Il faut donc organiser une riposte syndicale et populaire contre Amazon, qui forcera nos dirigeants à prendre leurs responsabilités.

Rappelons qu’en 2005, la multinationale Walmart avait elle aussi fermé un magasin à Jonquière après sa syndicalisation. À l’époque, l’apathie des gouvernants et le manque de coordination des syndicats avaient permis à l’entreprise de s’en sortir sans dommage, bien qu’elle fût condamnée en 2014 par la Cour suprême du Canada pour ses pratiques antisyndicales.

Aujourd’hui, face à l’arrogance d’Amazon qui veut fermer ses entrepôts québécois, il faut réagir par une campagne massive de boycottage de tous ses services, incluant la vente en ligne et ses services informatiques. Les syndicats doivent s’unir dans une campagne de dénonciation de l’entreprise et s’assurer de sa mise au ban. Les travailleurs menacés d’Amazon, avec l’appui de toutes celles et de tous ceux qui persistent à croire que nos droits valent plus que les profits des multinationales, doivent exprimer leur colère et agir pour entraver la poursuite de ses activités dans le reste du Canada.

L’appel au boycottage doit absolument être canadien, et même international : c’est la seule manière d’instaurer un rapport de force avec cette compagnie sans scrupule. Avec une campagne suffisamment forte, nous pouvons espérer rallier nos gouvernements du côté des employés. Mais dans tous les cas, c’est la solidarité ouvrière et syndicale qui déterminera la puissance du mouvement contre Amazon, ouvrant la porte à une victoire des travailleurs.

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