Face à Trump, l’Europe sur la défensive

Une photo prise le 20 janvier 2025 dans la station alpine de Davos montre le centre des congrès au lever du soleil lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial (WEF).
Photo: Fabrice Coffrini Agence France-Presse Une photo prise le 20 janvier 2025 dans la station alpine de Davos montre le centre des congrès au lever du soleil lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial (WEF).

La petite station de ski des Alpes suisses avait des airs tristounets. Pour une fois, on y voyait plus de skieurs que d’hommes d’affaires. Le chancelier Olaf Scholz s’est contenté d’un passage rapide. Même chose pour celui qui devrait lui succéder dans trois semaines au Bundestag, Friedrich Merz. Peu de dirigeants prestigieux avaient fait le déplacement. Justin Trudeau préparait sa sortie. Quant à Emmanuel Macron, aujourd’hui plus fragilisé que jamais, il s’est contenté de réunir à l’Élysée une vingtaine de grands patrons avant le sommet. Même Donald Trump n’a pas envoyé de représentant au prestigieux Forum économique mondial de Davos. Il a fait mieux en s’adressant directement aux dirigeants européens par visioconférence.

« J’aime l’Europe. J’aime les pays d’Europe, mais le processus est trop lourd », a-t-il lancé devant une foule de dirigeants européens aux abois, dont la plupart étaient venus pour savoir à quelle sauce ils seraient mangés. Sur le ton de la confidence, il a raconté l’histoire de ce projet qu’il avait caressé en Irlande et pour lequel il avait fallu des années avant d’obtenir l’autorisation de Bruxelles. Il ne se souvenait même pas s’il l’avait finalement laissé tomber…

« Un lapin devant un serpent »

C’est Friedrich Merz qui a trouvé la formule en invitant les dirigeants à travailler avec Trump « plutôt que d’attendre comme un lapin devant un serpent ». Car il se pourrait que l’Europe soit « la grande perdante de cette nouvelle donne », écrivait le chroniqueur du Figaro Nicolas Baverez. Avec ses menaces d’augmenter les droits de douane de 10 % ou 20 %, Trump « ne bluffe pas », avait soutenu un mois plus tôt l’économiste en chef de l’agence de notation Fitch, Brian Coulton. Selon lui, le président a surtout en ligne de mire deux régions avec lesquelles il a un fort déficit commercial : la Chine et l’Europe.

Outre l’annonce d’un hypothétique « choc de simplification » destiné à réduire la paperasse de 25 %, personne n’a encore d’idée claire de la manière dont cette dernière compte réagir. Le commerce entre l’Europe et les États-Unis représentant 1500 milliards d’euros, soit 30 % du commerce mondial, on estime qu’une hausse des droits de douane pourrait lui coûter 1 % de son PIB. C’est sans compter la réaction de la Chine, qui, face aux barrières tarifaires américaines, pourrait inonder le marché européen de ses produits.

Pour prendre la mesure du fossé qui s’est creusé depuis 20 ans entre les deux continents, rappelons qu’au moment où les États-Unis comptent investir 500 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle, l’Europe ne compte « pas un seul géant de l’économie numérique », rappelait l’ancien ministre français de l’Économie Jean Arthuis. Avec des prévisions de croissance de 2,7 % aux États-Unis (grâce notamment aux investissements de Joe Biden dans le numérique et l’économie verte) et de moins de 1 % en Europe, cette dernière aura toutes les misères du monde à empêcher ses start-up de la technologie de déménager outre-Atlantique. Emanuel Macron exagérait à peine lorsque, récemment, il avait qualifié l’affrontement entre Washington et Bruxelles de guerre entre « carnivores » et « herbivores ». Ces derniers étant évidemment les Européens.

« L’ordre mondial coopératif que nous imaginions il y a 25 ans n’est pas devenu réalité. Au contraire, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de concurrence géostratégique acharnée », s’est contenté de déclarer Ursula von der Leyen à Davos. Pour l’instant, la présidente de la Commission européenne semble hésiter entre deux stratégies. La première est la prudence, à laquelle elle a surtout appelé jusqu’ici. En novembre, elle s’était contentée de proposer d’acheter plus de gaz aux Américains afin de combler le déficit commercial.

Taxer les GAFAM ?

Mais, ce n’est pas l’avis de tous. « L’Europe ne peut pas se laisser faire et devra prendre des mesures de rétorsion », a déclaré la sous-gouverneure de la Banque de France, Agnès Bénassy-Quéré. Si Donald Trump n’a pas encore présenté de mesures d’augmentation de tarifs douaniers, « c’est aussi parce qu’il sait […] que cela aura d’abord des conséquences pour les États-Unis », assure le ministre français du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin.

À Davos, la présidente de la Commission a donc prudemment commencé à vanter les discussions qui sont en cours avec le Mexique et le traité qui vient d’être signé avec le Mercosur. Elle rappelle aussi que son prochain voyage l’amènera en Inde.

Mais c’est avec la Chine qu’un véritable revirement pourrait se produire : « Il est temps de rééquilibrer notre relation […] dans un esprit d’équité et de réciprocité », a déclaré la présidente. Comme si les querelles concernant les subventions de la Chine à son industrie automobile et son pillage des brevets des fabricants européens de téléphonie étaient soudainement disparues.

Dans Le Monde, la députée européenne Aurore Lalucq, présidente de la Commission des affaires économiques à Bruxelles, proposait une autre stratégie. Au lieu d’augmenter les droits de douane, il faudrait, dit-elle, plutôt « taxer les GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft] ». Ce serait une façon, dit-elle, de tenir compte du fait que, si l’Europe a un fort excédent commercial avec les États-Unis dans l’exportation de biens, elle est déficitaire de 104 milliards d’euros en ce qui concerne les services.

À Paris comme à Berlin, personne ne peut nier que ce qui s’annonce comme une guerre commerciale survient au plus mauvais moment à la fois pour l’Allemagne et la France. Deux pays que certains éditorialistes n’hésitent pas à présenter comme « les deux hommes malades de l’Europe ». Alors que l’Allemagne a nourri depuis 20 ans sa croissance avec du gaz russe à bon prix et des exportations de machines-outils vers la Chine, son modèle économique est aujourd’hui en crise. Après deux ans de récession, on s’attend au mieux à une stagnation en 2025. Quant à la France, sans majorité à l’Assemblée nationale, elle ne parvient même pas à s’entendre sur un budget. Sa dette abyssale vient aussi plomber son influence en Europe. Quant aux autres pays, comme la Pologne, la Hongrie, l’Italie et même l’Allemagne, ils pourraient s’empresser d’aller négocier directement avec Donald Trump.

« L’Europe doit s’armer »

Au moment où les États-Unis cherchent à s’en retirer, cette crise rend aussi de plus en plus difficile l’effort de guerre en Ukraine. La peur des Européens, c’est évidemment que le président américain discute directement avec Poutine sans s’occuper de l’Europe, qui sera responsable de reconstruire le pays quoi qu’il arrive. Voilà pourquoi le premier ministre polonais, Donald Tusk, a récemment déclaré au Parlement européen que « si l’Europe veut survivre, elle doit s’armer ». C’est aussi le point de vue de la France et du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. D’ailleurs, un programme de dépense conjoint de 1,5 milliard d’euros ne traîne-t-il pas depuis deux ans sur les tablettes de Bruxelles. La raison ? Contrairement à la France, la plupart des pays européens se contenteraient d’endetter l’Europe afin d’acheter de l’équipement américain qui représente 80 % des achats européens depuis le début de cette guerre, déplorait l’ancien premier ministre italien, Enrico Letta.

Or, s’il faut en croire le secrétaire général de l’OTAN, le Néerlandais Mark Rutte, cette dépendance militaire ne risque pas de s’arrêter de sitôt. « Si le nouveau gouvernement Trump souhaite continuer à approvisionner l’Ukraine à partir de sa base industrielle de défense, la facture sera payée par les Européens, j’en suis absolument convaincu », a-t-il déclaré à Davos. En 2016, les pressions sur les membres européens de l’OTAN afin qu’ils augmentent leurs dépenses avaient donné des résultats.

Un récent sondage réalisé auprès de 28 000 personnes dans 24 pays par un think tank bruxellois, le Conseil européen pour les relations internationales, en a surpris plus d’un. Ceux qui croient le moins à l’influence de l’Europe dans le monde se révèlent être comme par hasard… les Européens ! C’est le genre de constat qui faisait dire au fondateur du gestionnaire de fonds BlackRock, à la tête de 11 500 milliards de dollars d’actifs, Larry Fink, que « l’Europe est un mythe, ça ne marche pas et je ne vois pas les choses avancer ».

Alors que les hostilités ne sont pas encore déclenchées, bon nombre d’observateurs s’attendent à ce que l’affrontement entre Bruxelles et Washington se termine au minimum par une augmentation de ses achats de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis et de matériel militaire, évidemment américain. C’est d’ailleurs ce qu’a suggéré le favori des élections allemandes, Friedrich Merz. Ce qui pourrait se traduire par un alignement encore plus grand sur la politique de l’Oncle Sam. Est-ce que ce sera suffisant ? La suite le dira.

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