«Une fête d’enfants»: funestes festivités

« Les collages […] dépaysent, perturbent, déstabilisent. » C’est sur ce pari, énoncé au tout début du spectacle, que mise Une fête d’enfants. Tant la structure du texte de Michel Marc Bouchard, des monologues et des dialogues qui se juxtaposent pour reconstituer le récit d’une soirée qui fait voler en éclats la vie entière d’une famille, que la mise en scène de Florent Siaud, avec des panneaux qui glissent, se soulèvent et s’abaissent, réinventant constamment le champ visuel, en adoptent la forme. Le personnage qui se prononce ainsi sur l’art du collage, Claire, interprétée par Sylvie Drapeau, y consacre son temps depuis sa retraite, mais, contrairement à l’artiste allemande Hannah Höch, ses œuvres ne sont, de son propre aveu contrit, que décoratives.
La beauté, l’un des thèmes phares du dramaturge, est au cœur de sa plus récente pièce. Celle que l’on convoite, qui éblouit, qui subjugue, qui règne, mais qui peut aussi asservir et condamner. « Tout le monde va être tellement content de nous voir. Même si on est en retard. […] Si on n’était pas là, la fête serait triste parce qu’on est beaux, et eux, ils ne le sont pas », dira la petite Adèle, 9 ans, sur la route qui la mène, ainsi que sa sœur et ses deux superbes pères, à la fête de leur ami Nathan, qui a lieu chez sa grand-mère, Claire. Ces trois adultes seront les seuls personnages qui arpenteront la scène, les deux fillettes n’y étant représentées que par des voix.
Si la conscience de la toute-puissance de la magnificence physique à un si jeune âge saisit par son implacabilité crue, la place que le paraître occupe dans la vie du personnage principal, David, campé par François Arnaud, sidère. C’est en vain que celui-ci cherche à voir son âme se frayer un chemin derrière ses traits d’une grâce impeccable, dans les miroirs qu’il croise, et c’est la perfection absolue de sa famille qu’il considère légitimer son homoparentalité aux yeux d’une société hétéronormative.
Par autosabotage, par soif de sensations exaltantes, par lassitude ou par incapacité à porter le poids du conformisme, David souille le tableau immaculé dont il est une figure centrale en commettant l’adultère. Et quand il vient à redouter que la tache ruine l’entièreté de la fresque, il craque et les dégâts seront irréparables. Croit-on à la trajectoire psychologique de cet être narcissique qui semble plus ou moins indifférent à tout ce qui n’est pas sa propre personne, dont la perspective de « tout posséder, tout dominer, tout détruire » mène littéralement à la jouissance et qui pourtant sombre dans un état neurasthénique lorsqu’il craint que son infidélité soit découverte ? La réponse à cette question déterminera sans doute si l’on adhérera pleinement ou non à la proposition de Bouchard, si l’on suivra l’itinéraire de cette déchéance avec un vif intérêt ou plutôt avec un certain détachement où, par moments, pourrait subrepticement poindre l’ennui.

Reste indubitable la qualité du jeu de François Arnaud, un habile amalgame de fatuité, d’insatisfaction latente et de franche détresse. On ne peut qu’espérer que sa maestria irradie sur nos scènes plus souvent. Iannicko N’Doua s’illustre également par sa sobriété adroite dans le rôle de l’époux et père irréprochable, tandis que la truculence de Sylvie Drapeau en artiste dilettante friande de vapeurs de colle se déploie dans toute sa splendeur après une première scène où la quête du ton juste de ce personnage servant d’allègement comique (comic relief) ne semble pas encore tout à fait achevée.
La scénographie de Romain Fabre, perpétuellement en mouvance, dynamise assurément l’ensemble. Elle offre, bonifiée par les projections tantôt abstraites, tantôt plus figuratives de Félix Fradet Faguy et par les éclairages en opportun clair-obscur de Nicolas Descôteaux, un écrin congruent à la langue aussi lyrique qu’acérée, voire cinglante, de l’auteur des Feluettes et de Tom à la ferme. Des mots qui nous portent à considérer l’emprise asphyxiante qu’exercent les apparences sur nos existences pourtant bien éphémères.