«Landscape Depressions»: l’humain, un animal plus bête que les autres

Une image tirée de l'éeuvre «A Sign of Prosperity to the Dreamer» (2014), vidéo de Janis Rafa
Photo: Janis Rafa Une image tirée de l'éeuvre «A Sign of Prosperity to the Dreamer» (2014), vidéo de Janis Rafa

Les vidéos de Janis Rafa — artiste d’origine grecque qui travaille entre Athènes et Amsterdam —, œuvres présentées ces jours-ci au Centre Vox, nous inciteront à réfléchir à notre rapport aux animaux. Il faut dire que le sujet interpelle…

Le regard que nous portons sur le monde animal est souvent péjoratif. Le mot animal lui-même est connoté négativement, désignant symboliquement une personne mal élevée, stupide ou même violente. Le mot bête peut aussi définir un monde similaire. Il catégorise une personne codinde, « bête comme une oie », « bête comme un âne », « bête comme un cochon » ou « bête à manger du foin »… Il sert aussi à désigner un individu qui est sous l’emprise de ses plus bas instincts : un chameau, un butor, un chien, un rat… Et cet imaginaire négatif associé à l’animal n’est pas propre à la langue française. En art occidental, dans les natures mortes, la représentation d’un perroquet ou d’un singe a longtemps signalé comment l’humain peut être glouton, voleur, trompeur ou hypocrite, vices qui auraient été propres aux animaux…

Changer de point de vue sur le monde

« Les animaux jouent un rôle essentiel dans mon œuvre afin de présenter différemment un monde que nous croyons bien comprendre. Mais notre lecture de celui-ci a été faite grâce à une approche totalement anthropocentrique », nous explique Janis Rafa. « Mon œuvre tient à réfléchir à l’animal apprivoisé, dominé ou même en liberté, afin de saisir qui nous sommes, l’animal me servant de miroir à nos comportements. En plus d’aborder la question de l’éthique animale ou même de l’esthétique inspirée par les animaux, mon travail sert à appréhender qui nous sommes. Il s’agit en fait d’une réflexion sur la hiérarchie que nous avons bâtie avec l’animal, que cela soit parce que nous les aimons, nous avons besoin d’eux, nous les utilisions ou nous voulons les manger. »

Photo: Janis Rafa Une image tirée de l'œuvre «The Space Between Your Tongue and Teeth» (2023), vidéo de Janis Rafa

Pourtant, la situation évolue et même si les animaux demeurent aujourd’hui de simples objets légalement, n’ayant que très peu de droits, ils sont maintenant protégés en cas de graves sévices et de maltraitance… « Les choses changent bien lentement. L’animal est loin d’être considéré comme notre égal. Et les gens qui viennent voir mes expos trouvent souvent que mes vidéos les rendent inconfortables, car ils y voient parfois des animaux morts — dans un contexte pourtant cinématographique —, mais les mêmes personnes n’hésitent pas à mettre de la viande dans leur assiette. »

Une expo qui comprend entre autres la vidéo Landscape Depressions (2023) — qui donne son nom à l’ensemble des œuvres présentées — vidéo montrant une humanité inexplicablement endormie, symboliquement apathique, incapable de réagir aux problèmes actuels posés par la crise écologique, et un monde animal enfin libéré de la domination du genre humain.

« Mais mon travail ne parle pas de notre relation aux animaux simplement du point de vue de la crise écologique, mais aussi d’une manière plus sensible, plus sentie par rapport à la nature même des animaux. Je parle des similarités que nous avons avec beaucoup d’entre eux, dont la capacité de sensibilité, d’empathie. »

Photo: Janis Rafa Une image tirée de «Lacerate» (2020), vidéo de Janis Rafa

Mais ce qui fait le grand intérêt de l’œuvre de Rafa est qu’elle n’est pas une illustration d’idées sur nos rapports aux animaux. Rafa ne fait pas des documentaires sur la vie animale. Dans ses vidéos très cinématographiques, la structure narrative et formelle très éclatée réussit à créer cette défamiliarisation du regard que nous portons sur le monde. Cette étrangeté incarne un désir de déjouer des automatismes de perception et de compréhension. « Grâce à ma connaissance de l’art cinématographique, j’arrive à subvertir la réalité telle que nous la voyons afin de lui rendre une épaisseur. »

L’œuvre de Rafa participe à une relecture de l’animal présente dans le travail de bien des artistes actuels. Le duo Ibghy et Lemmens a, par exemple, réalisé la Bibliothèque d’outils communautaire pour les oiseaux (2021), « contenant une variété d’outils que les oiseaux utilisent à des fins diverses, de la recherche de nourriture au grattage de dos, en passant par le jeu, le crochetage de porte et l’ouverture d’objets divers », œuvre qui montre bien comment l’animal, tout comme l’être humain, peut élaborer des outils et transmettre à ses congénères un savoir sur des générations.

Landscape Depressions

De Janis Rafa. Au Centre Vox, jusqu’au 1er mars.

UNE identité canadienne?

Malgré son titre, le livre Canadian Photographs n’est pas pour autant une tentative de définir une identité canadienne… Son intitulé est en fait un écho à la publication American Photographs de 1938 par Walker Evans. Hommage à l’art de ce grand photographe, cet album photos de Geoffrey James — artiste né au Royaume-Uni en 1942 et ayant immigré au Canada en 1966 — donne une bonne place aux questions de la mémoire et de l’oubli, à celle de la fragilité du patrimoine architectural et écologique. De plus, ses images très épurées, qui semblent purement documentaires, posent un regard critique et même ironique sur le monde qui nous entoure.

Ce livre d’images est agrémenté d’une discussion intelligente avec Peter Galassi, qui fut conservateur en chef de la photographie du Musée d’art moderne à New York.

Dommage que ce livre de cet artiste vivant maintenant à Montréal ne soit pas disponible en français.

Canadian Photographs de Geoffrey James, Figure 1, Vancouver, 2024, 144 pages

À voir en vidéo