Un week-end à Saint-Tite
Moi qui adore les chevaux, je ne m’étais encore jamais rendue au Festival western de Saint-Tite. Je suis issue de l’équitation classique, et mes disciplines préférées impliquent des parcours d’obstacles. Or à l’avant d’une selle western, il y a un pommeau. On ne saute pas avec un pommeau ; il est dans le chemin et sert à enrouler un lasso.
Ne le dites pas aux cow-boys, mais j’ai toujours trouvé que leur selle était un gros La-Z-Boy et je me suis souvent dit que leur chapeau, c’est de la parade, et qu’à part les protéger du soleil, ça ne protège pas de grand-chose. Je repense à mes pires chutes à cheval et préfère ne pas imaginer ce qui serait arrivé si j’avais porté un chapeau de cow-boy au lieu d’une bombe.
C’est la littérature qui m’a menée jusqu’à Saint-Tite, où l’auteur de polars Guillaume Morrissette tient depuis deux ans au festival un kiosque littéraire sous le grand chapiteau de la Place des marchands. Signer des livres sur un baril, vêtue d’une chemise à franges a été un grand bonheur pour moi. Jusqu’ici, j’avais regardé les cow-boys avec un petit sourire moqueur en me demandant s’ils valsaient eux aussi avec le danger et la peur… Je n’avais encore jamais assisté à un rodéo.
Durant la 56e édition du Festival western, qui s’est déroulé du 6 au 15 septembre, les bottes de plus de 700 000 pieds-tendres ont foulé les rues d’un village où, en temps normal, près de 4000 âmes coulent des jours paisibles.
Dès mon arrivée sur les lieux, avant toute chose, malgré l’excitation qui me gagnait et la frénésie ambiante, il m’importait de prendre un moment pour aller voir de près les animaux, leur état de santé et leurs conditions de vie : la suite de mon week-end en dépendait.
Installées derrière le camping de roulottes et de VR, dans les hauteurs d’un champ qui a des airs de petite prairie, les bêtes étaient bien, paisibles et en sécurité. J’ai vu là des chevaux, taureaux, bouvillons et veaux éblouissants de beauté, à l’oeil vif. De type bronco ou bucking horse, les chevaux de rodéo sont naturellement doués pour la ruade. Dans les diverses disciplines présentées lors d’un rodéo (course de barils, échange de cavaliers, poney express, course de sauvetage, monte du cheval avec et sans selle), les animaux font des performances dans des disciplines qui misent sur les points forts de leur race. Bucking signifie « ruer », une caractéristique instinctive qui permet au cheval de se protéger des prédateurs, et un superpouvoir que le poulain acquiert très rapidement.
Moi qui croyais que les chevaux de rodéo ruaient parce qu’une sangle les serrait à un endroit désagréable et qu’ils se braquaient d’inconfort pour tenter de s’en défaire, j’ai compris assez vite que j’étais dans le champ. Ces animaux sublimes, aux robes variées, de constitution très solide, bien nourris et sains ruent parce qu’en plus d’avoir cette disposition naturelle, on les entraîne en les encourageant à le faire. Lorsqu’ils participent à un rodéo, ils jouent, sont conscients du spectacle. Leurs oreilles sont bien droites vers l’avant, et non pas couchées vers l’arrière (comme lorsqu’un cheval est contrarié ou se sent menacé). Ils s’arrêtent quand la cloche sonne, annonçant la fin des huit secondes que dure la monte du cheval par le cavalier, s’il réussit à rester en place.
J’ai visité l’emplacement où se font les tests vétérinaires, le contrôle des boiteries et des taux de cortisol, comme dans les concours équestres. J’avais besoin de m’enquérir de ces choses-là, de les voir de mes yeux et d’en comprendre le fonctionnement. Si c’est aussi votre cas, sachez que ces visites sont ouvertes au public.
Pas loin de 7000 spectateurs prennent place dans les gradins pour assister au rodéo, un événement sportif, extrême et spectaculaire. Il y a de la musique, un peu de pyrotechnie, des animateurs pour expliquer ce qui se passe. C’est un rituel, une cérémonie, avec au début, des cavaliers au galop qui brandissent des drapeaux. Une chanteuse interprète les hymnes patriotiques des cow-boys qui, réunis en cercle au centre de l’arène avant leur performance, ont retiré leur chapeau. Ensuite, la prière du cow-boy est récitée dans un silence monacal pendant qu’on rassemble chevaux et taureaux dans les enclos autour du stade.
Rouge écarlate à quelques secondes de sa performance, un premier cow-boy s’attache la main à la selle du plus serré qu’il le peut. L’autre main devra rester dans les airs. Plusieurs se feront éjecter du dos de l’animal avant la fin des huit secondes réglementaires ; les autres se débrouillent pour s’extirper de là en agrippant tant bien que mal l’arrière-train de la monture d’un des deux cavaliers de secours, toujours présents dans l’arène. Ce sont eux qui m’ont le plus impressionnée. Des jumeaux qui, depuis plusieurs décennies, tempèrent l’intensité du moment en escortant le cheval vers la sortie, en portant assistance aux cow-boys, qui pour la plupart, repartent en boitant.
J’ai vu trois rodéos durant ma fin de semaine à Saint-Tite. C’est frénétique, captivant, sans temps mort. Le seul moment que je n’ai pas apprécié est la prise du veau au lasso, une discipline appelée à évoluer, qui se tenait lors du dernier rodéo du dimanche, seulement lors de la grande finale. Les cow-boys qui la pratiquent devraient s’inspirer de la manière dont les cow-girls l’exercent : elles se contentent d’attraper un veau en fuite au lasso sans interrompre sa course alors que les hommes, eux, vont jusqu’à lui attacher les pattes ensemble (elles sont détachées dans la seconde suivante).
Ce n’est pas nécessaire d’aller jusque-là ; ce qui importe est la démonstration de l’agilité au lasso. On se fout de la capacité à ficeler, ce n’est pas impressionnant. Oui, il y a des femmes. Dans l’environnement des chevaux, il y en a toujours. Et dans les rodéos, elles supplantent leurs confrères dans les disciplines de vitesse puisque, plus légères, elles ralentissent moins leur monture.
Je reviens de Saint-Tite le coeur plein, sur un gros high, et j’ai déjà hâte d’y retourner. Ce n’est pas pour rien que ce festival jouit d’une immense popularité : il touche à nos racines. On enfile un chapeau, des bottes, une chemise à franges. On fait fi des classes sociales et des allégeances politiques… On passe de l’autre côté du miroir. Ce festival, c’est notre carnaval à nous, Nord-Américains.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.