Tous conservateurs
Chaque mardi soir, à 22 h, je saute sur la glace pour mon match de hockey hebdomadaire. Chaque semaine, c’est la même routine. Les mêmes joueurs entrent dans les chambres, deux chambres pour deux équipes, toujours les mêmes joueurs ensemble. Les changements sont rares. Et même les remplaçants ont leurs habitudes.
Je ne sais pas si c’est une question de superstition, de conversation ou plus simplement de compatibilité, mais chaque semaine, nous répétons les mêmes gestes avant les matchs. Quant au reste, ce qui se dit dans la chambre des joueurs reste dans la chambre des joueurs, comme on dit.
Cette petite routine, presque anecdotique, se répète à l’identique partout. Au travail, à l’heure du lunch, quand les gens s’installent à la même table avec les mêmes collègues. À l’école aussi. Je me rappelle que, dans l’autobus jaune qui nous menait à la polyvalente quand j’étais jeune, nous avions tous nos places bien établies. Si, par malheur, quelqu’un s’avisait de prendre cette place, aussitôt surgissait un léger sentiment de désarroi.
Nous avons tous une tendance naturelle à rechercher la stabilité dans nos habitudes quotidiennes. Ces routines nous permettent de fonctionner sans être distraits par des perturbations externes qui viendraient troubler nos vies. En somme, chacun de nous, à sa manière, a un côté plus ou moins conservateur.
Lorsque des perturbations viennent chambouler nos habitudes, chacun réagit différemment. Pensez à la façon dont les mesures sanitaires ont affecté les gens durant la pandémie : les réactions variaient grandement. Face à ces bouleversements, nous avons souvent tendance à vouloir identifier un responsable, ce qui a pour effet de simplifier des situations pourtant souvent bien complexes.
On sait par expérience que les décisions politiques qui touchent les habitudes de proximité provoquent les réactions les plus vives. Par exemple, retirer des centaines de places de stationnement pour y installer une piste cyclable déclenche une réaction immédiate, car l’impact sur la vie quotidienne des gens du voisinage est instantané. Par comparaison, une réforme du système de santé met des années à faire ressentir ses effets sur la population.
Les changements qui viennent bousculer nos habitudes, même les plus petits, sont ceux qui nous affectent le plus. Tous ceux qui touchent de près à notre quotidien sont en fait ceux qui provoquent les plus fortes réactions. Pas étonnant, alors, que les mesures visant à contrer le dérèglement climatique suscitent autant de contestations : elles heurtent de plein fouet nos habitudes de tous les jours.
On pourrait croire aussi que les enjeux économiques dominent toujours l’intérêt des électeurs en campagne électorale. C’est du moins ce que les sondages semblent nous indiquer. Pourtant, les derniers sondages réalisés au Canada et au Québec montrent souvent que l’économie et l’environnement ne sont pas si éloignés. Pourquoi, alors, l’économie semble-t-elle systématiquement plus importante lors des élections ? Est-ce vraiment là la préférence des électeurs ? N’est-ce pas plutôt la conséquence de la façon dont nous abordons ces sujets ?
Traditionnellement, l’économie est un sujet associé à la droite tandis que l’environnement est associé à la gauche. Avouons que les partis de droite ont, présentement, beaucoup plus la cote en Occident. On a beaucoup conjecturé sur les raisons de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. L’une d’elles tient à la capacité des partis populistes de toucher les cordes sensibles des électeurs. Comme si les partis plus à gauche avaient plus de difficultés à se connecter sur l’électorat.
Je vais reprendre ici une phrase que j’aime bien utiliser : la gauche veut avoir raison et la droite veut gagner. Pour induire des changements, il faut d’abord prendre le pouvoir. Or, bien souvent, la gauche préfère s’entre-déchirer afin de savoir qui va remporter la palme de la pureté. Elle a aussi tendance à faire la morale aux personnes en plus de donner l’impression de former une élite intellectuelle insensible aux préoccupations des gens.
Trois ans après avoir quitté la politique, je comprends que j’ai probablement moi-même projeté ce type de message à travers mes actions de maire d’arrondissement. L’idée n’est pas d’éviter d’agir pour l’environnement, bien au contraire. Le véritable enjeu ici réside dans notre sensibilité à prendre la pleine mesure de la capacité des gens à accepter des changements, surtout lorsque ceux-ci ont des impacts directs sur leur quotidien.
Si ces changements n’ont pas de sens aux yeux des citoyens, ou s’ils n’apportent pas de réponse à leurs angoisses et à leurs inquiétudes, ces gens vont plus volontiers écouter ceux qui leur donnent des explications simples, même si elles sont en fait réductrices. En ce moment, la droite populiste se montre bien plus habile à capter l’écoute des citoyens que la gauche et les progressistes.
Accepter que chacun de nous conserve une part de conservatisme n’a rien de blâmable en soi. Au contraire, cela pourrait aider les partis progressistes et de gauche à faire leur introspection afin de redevenir ceux qui répondent aux préoccupations des classes vulnérables, ouvrière et moyenne — et, pourquoi pas, même des plus aisés.
Si la gauche et les progressistes veulent vraiment changer les choses, ils doivent commencer par toucher le coeur des gens avant de leur imposer leurs solutions. Parce qu’en politique, gagner le pouvoir est la première étape à franchir pour vraiment transformer la société ; tout le reste n’est que théorie.
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.