Les héros du quotidien

Dans le quotidien de nos vies s’activent des personnes qui contribuent à notre bonheur sans qu’on s’en aperçoive. Parfois visibles, mais plus souvent discrètes, ces personnes épaulent les acteurs des services publics dans leur prestation de services à la communauté. Leur engagement, qu’il soit modeste ou plus important, est essentiel, car il a le pouvoir d’améliorer notre qualité de vie et de semer un peu de bien autour de nous.

En tant que maire d’arrondissement, j’ai eu le privilège de croiser des centaines, voire des milliers de ces anges gardiens. Qu’ils oeuvrent dans un centre communautaire, qu’ils organisent des activités de loisirs, des camps de jour, ou qu’ils se dévouent dans des banques alimentaires, leur contribution bonifie le tissu social de manière extraordinaire. Certains sont bénévoles, d’autres sont rémunérés, mais jamais à la hauteur de la valeur de ce qu’ils apportent.

Il y a deux semaines, deux de ces anges gardiens nous ont quittés bien trop jeunes, alors qu’ils avaient encore tant à offrir. C’est d’eux que je souhaite vous parler aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que ces deux hommes laissent derrière eux une empreinte indélébile dans la trame urbaine montréalaise. En donnant sans compter avec générosité et bienveillance à des milliers de citoyens, ils ont incarné, chacun à leur manière, cet engagement profond que tant d’autres ont partagé avant eux et que quantité d’autres partageront encore après eux.

Jimmy Rancourt, directeur de la maison de jeunes L’hôte maison, dans La Petite-Patrie, et Billy Walsh, directeur général de l’Association des sociétés de développement commercial de Montréal, nous ont quittés à quelques jours d’intervalle. Ils laissent derrière eux bien plus que des familles et des proches en deuil, à qui j’adresse, par ailleurs, toutes mes condoléances.

Leurs disparitions sont aussi synonymes de pertes immenses, déchirantes, pour des communautés formées de jeunes et de moins jeunes, d’ici et d’ailleurs, qui, un jour ou l’autre, ont reçu d’eux une étincelle de vie, une lueur d’espoir, un geste significatif, une parole réconfortante, un regard compatissant ou complice qui ont eu un grand impact. Jusqu’à changer, voire à sauver leur vie.

Ces héros du quotidien nous permettent de voir collectivement plus loin et de voir plus grand. Jimmy a dirigé la maison de jeunes pendant plus de 20 ans. À la fois boule d’énergie et bougie d’allumage, il réussissait toujours à trouver une voie de passage pour guider ceux qui cherchaient désespérément une lumière. Impossible de mesurer le nombre d’adolescents qu’il a côtoyés et pour qui il aura joué un rôle inestimable.

Jimmy croyait que chaque jeune pouvait espérer trouver sa voie en recourant à l’art et en favorisant la libération de son esprit créatif, sous toutes ses formes. Malgré les obstacles traversés par L’hôte maison au fil des années, il incarnait cette force tranquille, ce pilier sur lequel l’organisation tout entière pouvait s’appuyer afin de pouvoir regarder l’avenir avec la conviction que tout était encore possible.

Billy était de ceux qui voyaient des solutions partout, jusqu’au coeur de chaque être humain. Il avait un talent rare qui lui permettait de faire émerger du beau du chaos, un talent qui lui permettait aussi de transformer le doute et la méfiance en quelque chose de lumineux. Il laisse derrière lui bien plus qu’une rue prospère et revitalisée. Durant ses 12 années à la tête de la Société de développement commercial Wellington, dans Verdun, Billy aura littéralement incarné l’âme de cette rue en faisant de ce repère solide un appui sur qui tous pouvaient compter, à tout moment.

Humble dans ses paroles et dans ses gestes, Billy aura été un phare pour de nombreux petits entrepreneurs et leur a souvent offert un soutien précieux quand tout semblait perdu. Avec son optimisme inébranlable, il ne voyait que des solutions, même face aux plus grands obstacles. À bien des égards, c’est à lui que l’on doit la transformation des rues commerciales de proximité à Montréal et au-delà. C’est son esprit d’ouverture, sa sensibilité et son empathie qui ont permis d’allumer une lueur d’espoir dans les yeux de ceux qui, un instant plus tôt, étaient en désaccord.

Ces deux hommes auront façonné Montréal chacun à leur manière au fil des décennies. Ils n’auront jamais recherché les feux de la rampe. Leur dévouement était ancré ailleurs, dans leur profonde volonté d’aider les autres, leur satisfaction venant de la simple joie de voir une amélioration tangible s’opérer dans la vie des gens. Non par vanité, mais pour le pur bonheur de voir des sourires illuminer leurs visages.

Ce genre de héros du quotidien, on en trouve partout, dans chaque quartier, chaque village, chaque communauté. Nous les croisons sans toujours pleinement mesurer l’impact qu’ils ont sur nos vies. Combien de fois avons-nous pris le temps de les remercier ? Un simple regard complice, chargé de gratitude, suffit souvent en pareil cas, mais la frénésie de nos vies nous fait oublier l’essentiel.

Comme tant d’autres, Jimmy et Billy incarnaient ce qu’il y a de plus noble en chacun de nous : cette générosité tout humble qui nous pousse à aider les autres au quotidien. Ils auront semé du bonheur autour d’eux sans rien espérer en retour. Messieurs, vous êtes partis trop tôt, et vous nous manquez déjà. Je vous dis un immense merci pour tout ce que vous avez accompli, mais surtout, pour les êtres magnifiques que vous avez été. Au revoir, et reposez en paix, d’autres vont poursuivre vos efforts.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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