L’artiste multidisciplinaire Matthieu Dumont n’est plus

Matthieu Dumont était indissociable de Geneviève Crépeau, avec qui il formait le duo Geneviève Matthieu.
Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir Matthieu Dumont était indissociable de Geneviève Crépeau, avec qui il formait le duo Geneviève Matthieu.

Icône de l’art performatif et du monde artistique de Rouyn-Noranda, Matthieu Dumont est décédé à l’âge de 47 ans. Un cancer fulgurant a emporté la moitié du duo créatif multidisciplinaire Geneviève Matthieu, qu’il formait avec Geneviève Crépeau.

Arts visuels, musique expérimentale, performance, gestion du centre d’artistes autogéré L’Écart, à Rouyn-Noranda : le curriculum vitæ de Matthieu Dumont, et du même coup celui de Geneviève Crépeau, est riche de plusieurs disciplines.

La paire fusionnelle, qui s’était formée en Abitibi à la fin des années 1990 sous le nom de Geneviève et Matthieu, laisse une empreinte unique sur l’art contemporain, qu’elle a contribué à redéfinir en multipliant les approches.

« Il y a deux ans, on a enlevé le “et” pour devenir Geneviève Matthieu. Il y avait derrière cette idée-là de fusionner, autant dans la vie que dans l’art ; fusionner les disciplines. On rêvait d’un art qui est total, qui est libre », raconte au Devoir Geneviève Crépeau, encore sous le choc de la perte de son compagnon des vingt dernières années.

Au cours de sa carrière, Matthieu Dumont a exposé et performé, seul ou en duo, de Rouyn-Noranda à Paris, en passant par Montréal, Bruxelles, Barcelone et Marseille.

Le couple, qui a pendant un temps été associé à l’étiquette Bonsound, a également produit six albums musicaux.

En 2019, Matthieu Dumont avait été récompensé par le titre de créateur de l’année en Abitibi-Témiscamingue, un titre décerné par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Comme en écho, Geneviève Crépeau aura, elle, reçu le titre d’artiste de l’année dans la région en 2023. Le duo avait également été en lice pour le prix Sobey pour les arts 2023.

C’est en novembre dernier, au retour d’un séjour de trois mois en France, que la maladie de Matthieu Dumont a été découverte.

« Matthieu, c’était toute ma vie. On n’a pas perdu une seconde ensemble. Souvent, je me suis demandé pourquoi on était 24 heures sur 24 ensemble. Maintenant, j’ai compris pourquoi : notre temps était compté », se désole Geneviève Crépeau.

Son décès est survenu au moment où le binôme vivait une période créative très faste. Les deux artistes s’apprêtaient à partir présenter leur travail en Belgique, puis à prendre part à une résidence de création de cinq semaines au Japon et à une autre aux Récollets, à Paris. Leur exposition Danseprophétiqueàl’îlebizarre devait ouvrir ses portes en février au Musée d’art de Rouyn-Noranda, leur ville natale. L’inauguration a finalement été reportée au 21 mars. Ils avaient également dans leur ligne de mire l’Off Festival d’Avignon et d’autres représentations en France, à Paris et à Marseille.

« C’est comme si on commençait à récolter les fruits de notre travail. […] On a vraiment travaillé fort depuis quatre ans, pour essayer de vivre de notre art. Et on a vraiment réussi. Ça nous a demandé de travailler sans jamais arrêter », raconte Geneviève Crépeau, qui songe à continuer le travail entamé par le tandem.

« Ce sont peut-être des projets que je vais poursuivre, parce qu’il faut bien que je continue. »

L’Écart, un lien central

Auparavant, le duo avait travaillé pendant plusieurs années à la gestion de L’Écart, centre artistique situé sur l’avenue Murdoch, au cœur du centre-ville de l’ancienne ville de Noranda.

Sous sa gouverne, L’Écart est notamment devenu propriétaire de l’immeuble qui abrite ses locaux. Réunissant à la fois une galerie, des ateliers et des logements, le centre est autogéré et peut ainsi offrir des bases solides aux artistes visuels de l’Abitibi-Témiscamingue.

« On avait l’idée de créer un empire de l’économie sociale, de créer de la richesse pour que les artistes aient des revenus autonomes, pour qu’on ne soit pas des êtres dépendants des subventions et des gouvernements », dit Geneviève Crépeau.

La formule a fait école. « Avec Geneviève, [Matthieu] a pensé à L’Écart de façon pérenne », indique Audrée Juteau, qui a pris la relève à la direction de l’organisme il y a quatre ans.

« Matthieu laisse une énorme empreinte. Il a permis à une génération d’artistes de faire leur vie à Rouyn. Quand on se surprend à trouver autant de vitalité artistique à Rouyn-Noranda, c’est en partie grâce à lui. »

C’est aussi entre les murs de L’Écart, et sous l’impulsion de Geneviève et Matthieu, qu’est née la Biennale performative de Rouyn-Noranda, qui a célébré en octobre dernier sa 11e édition.

« Matthieu avait des qualités très rares, à la fois de visionnaire, mais aussi d’administrateur et de gestionnaire, tout ça en étant un artiste libre », souligne Audrée Juteau.

« Il a toujours agi pour l’excellence, il n’a jamais fait de compromis. Il a fait beaucoup de sacrifices, mais pas de compromis sur sa vie d’artiste, sur sa liberté et sur sa vision artistique. Ce qu’il nous laisse, c’est énorme : l’indépendance. »

Avec Léo Mercier-Ross

À voir en vidéo