La «drôle» de guerre de Trump

Le président américain Donald Trump s’adresse à la presse à son arrivée à la base conjointe Andrews dans le Maryland, le 2 février 2025, pour son retour à la Maison-Blanche.
Photo: Jim Watson Agence France-Presse Le président américain Donald Trump s’adresse à la presse à son arrivée à la base conjointe Andrews dans le Maryland, le 2 février 2025, pour son retour à la Maison-Blanche.

Le goût de Donald Trump pour l’affrontement et les tarifs douaniers a mis en mouvement une roue infernale qui pourrait causer bien des dégâts. Même lorsqu’elle semble immobile.

Le nouveau président américain a mis le Canada et le Mexique sens dessus dessous, cette semaine, en commençant par les menacer de tarifs commerciaux de 10 % sur les produits énergétiques canadiens et de 25 % sur l’ensemble de leurs autres exportations aux États-Unis, avant de leur accorder, au dernier moment, un sursis d’au moins un mois en échange de la promesse de resserrer le contrôle de leurs frontières contre le passage de fentanyl et d’immigrants irréguliers.

Comme la plupart de ces mesures avaient déjà été annoncées et qu’on ne voit pas comment les problèmes auxquels elles sont censées s’attaquer pourraient tellement changer en si peu de temps, on saisissait mal les raisons de ce revirement de cap du locataire de la Maison-Blanche. Avait-il eu une épiphanie et soudainement compris que ce serait les ménages américains, particulièrement les plus modestes, qui allaient finir par payer ces fameux tarifs ? Avait-il été ému par la chute des valeurs boursières à la veille du moment fatidique, lui pour qui la Bourse est l’ultime bulletin de notes des présidents ?

On ne sait pas. « Est-ce que quelqu’un sait seulement ce qu’il veut vraiment ? » demandait cette semaine dans Le Devoir une experte en droit commercial international. Ce que l’on sait, toutefois, c’est qu’un mois est vite passé. Et que Donald Trump ne semble pas prêt à abandonner le recours aux tarifs commerciaux pour au moins trois raisons.

Premièrement, il y voit un puissant moyen de pression sur les autres pays pour les forcer à faire des concessions, pas seulement sur des questions commerciales. Deuxièmement, il pense qu’à force de semer le chaos dans le commerce mondial, il convaincra des entreprises de revenir aux États-Unis. Finalement, il y voit une source alternative de revenus qui lui permettrait, notamment, de financer des baisses d’impôts.

Poisson d’avril

Ce n’est peut-être pas de la fin du mois courant le Canada et le Mexique devraient avoir le plus peur, mais du 1er avril (sans blague). C’est en effet pour cette date que le président a demandé à ses agences de lui produire des rapports sur l’état des relations commerciales des États-Unis avec l’ensemble de ses différents partenaires. Cela pourrait servir à dresser la liste des pratiques commerciales soi-disant déloyales dont il accuse les autres.

Le Canada doit s’attendre à y retrouver les habituelles récriminations américaines contre son secteur du bois d’œuvre, son système de gestion de l’offre pour le lait, les œufs et la volaille, ses industries de l’acier et de l’aluminium, sa taxe sur les géants du numérique, et peut-être même ses secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Donald Trump semblait, cette semaine, vouloir ajouter à la liste son système bancaire. Il dénoncera l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) qu’il a pourtant négocié et signé lui-même. Il accusera aussi les Canadiens de ne pas contribuer en matière de dépenses militaires, même si cela n’a rien à voir avec le commerce.

En attendant, le Canada a rangé les représailles commerciales qu’il avait prévues en réponse aux tarifs de Donald Trump. Il est question de contre-tarifs sur 155 milliards de dollars de marchandises importées provenant d’industries et d’États particulièrement chers au cœur du camp républicain. Fait plus inhabituel, on évoque aussi de possibles taxes et restrictions à l’exportation vers les États-Unis de produits comme le pétrole et les minéraux critiques.

Ce conflit commercial en suspens ressemble, d’une certaine façon, à ce que les historiens ont appelé « la drôle de guerre ». C’est-à-dire cette période de quelque mois qui a suivi la déclaration de guerre de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne nazie pendant laquelle les deux camps se sont surtout observés avant que ne se déchaîne la Deuxième Guerre mondiale.

S’en prendre à quelqu’un de sa taille

Le Canada n’est pas le seul à fourbir ses armes en attendant le déferlement de tarifs commerciaux promis par Donald Trump. On se rappelle qu’en campagne électorale, le chef républicain n’a pas cessé de parler de tarifs de 10 % à 20 % sur l’ensemble des produits étrangers et de 60 % contre la Chine.

Cette dernière n’a eu droit, cette semaine, « qu’à » l’ajout d’un nouveau tarif de 10 %, mais elle sait qu’elle ne perd rien pour attendre. Quant à l’Europe, Donald Trump a redit, la semaine dernière, qu’il entendait « absolument » lui infliger de nouveaux tarifs en réponse notamment « aux atrocités » de ses politiques commerciales.

Les Européens s’y préparent activement, ont rapporté leurs journaux cette semaine. Il est question, là aussi, de sanctions ciblées qui viseraient des industries et des régions américaines auxquelles la droite américaine tient particulièrement. On s’est également doté, il y a un peu plus d’un an, d’un « instrument de lutte contre la coercition » conçu pour se défendre contre un pays tiers qui chercherait à « interférer indûment dans les choix souverains » de l’Union européenne ou de l’un de ses membres, comme le Danemark, aux prises avec les projets expansionnistes de Donald Trump au Groenland. Cet instrument permettrait notamment de frapper les géants américains du numérique.

Contrairement aux États-Unis, l’Europe chercherait à faire tout cela en respectant les règles commerciales internationales. Ce bâton viendrait avec une carotte qui permettrait à Donald Trump de rapporter des trophées de chasse et aux Européens de répondre à des besoins. On serait ainsi prêt à promettre d’acheter plus de pétrole et de gaz américains, ainsi que d’augmenter ses dépenses militaires en achetant, notamment, des armes américaines.

L’autre géant économique visé par Trump n’est pas en reste. La Chine n’entend pas, elle non plus, se contenter de tarifs sur ses importations de produits américains. À défaut d’être un aussi grand importateur que son adversaire américain, elle pourrait profiter du fait qu’elle est, à l’inverse, la plus grande puissance exportatrice pour réduire l’accès des États-Unis à certains produits où elle est dominante, notamment dans les technologies vertes et les minéraux critiques, expliquait cette semaine The Economist. Dans ce dernier cas, les Américains pourraient se faire brutalement rappeler que bien que l’on trouve aussi cette précieuse matière première dans d’autres pays, 90 % des capacités mondiales de raffinage sont en Chine.

Au même moment, Pékin lance des appels au rapprochement économique au Canada, à l’Europe et à bien d’autres en se présentant comme une solution plus fiable et plus stable que les États-Unis. En fait, depuis quelques années déjà, on assiste à une multiplication de tels rapprochements et d’ententes de coopération économique et commerciale entre différents pays de différentes régions dont le point commun est que les États-Unis en sont exclus, rapportait le New York Times cette semaine.

En attendant, ce n’est pas parce que la plupart de toutes ces menaces de tarifs et de contre-tarifs n’ont pas encore été exécutées qu’elles n’infligent pas de dommage, rappelait jeudi The Economist dans un autre article. « L’imprévisibilité crée de l’incertitude. Et l’incertitude tue l’investissement et la création d’emplois, à la maison comme à l’étranger. »

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