L’amende, l’arme peu redoutable du PLC contre les fanfarons

Le Parti libéral du Canada (PLC) menace d’une amende de 10 000 $ les plaisantins qui tenteront de voter à sa course à la direction sous une fausse identité, mais il ne pourra compter sur l’aide ni d’Élections Canada ni de la police pour les sanctionner.
« Je viens de m’inscrire pour voter à la course à la direction avec un faux nom [et] l’adresse du 24, promenade Sussex. Je vais peut-être le faire encore 1200 fois », a écrit en janvier un internaute qui a constaté avec quelle facilité il était possible d’ajouter son nom à la liste des sympathisants du PLC.
L’idée de détourner la course au remplacement du premier ministre Justin Trudeau a même brièvement circulé en début d’année auprès de figures du Convoi de la liberté, un vaste mouvement de protestation de 2022 opposé aux mesures sanitaires contre la COVID-19. On suspecte peu d’y trouver d’authentiques militants libéraux.
« C’est fait ! Aujourd’hui est la dernière journée pour s’inscrire, gang », a écrit en janvier sur X Tamara Lich, une organisatrice toujours en attente d’un verdict pour une poignée d’accusations criminelles en lien avec ces manifestations. Elle répondait à un autre internaute qui disait vouloir enrôler 250 000 libéraux pour appuyer le candidat désormais banni Chandra Arya.
Il n’y a aucune preuve que ce projet inusité a porté ses fruits, mais le PLC a annoncé qu’un total de près de 400 000 personnes s’étaient inscrites sur Internet pour pouvoir voter pour le nouveau chef, qui deviendra aussi le premier ministre du Canada. Il est désormais trop tard pour s’inscrire afin de voter, puisque la date limite était le 27 janvier.
Le parti précise qu’une seconde étape attend ces internautes, lors de laquelle tous les libéraux inscrits devront confirmer leur identité. La procédure devrait être dévoilée lundi. « Toute fausse déclaration relative à une attestation en lien avec le processus de vote est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 $ », avertit le porte-parole du parti, Parker Lund, citant les règles internes de la course.
Comme un contrat
Dans les faits, la loi ne confère pas de pouvoirs particuliers aux partis politiques leur permettant d’imposer des « amendes » en cas de tricherie lors d’une course à la direction. Pour collecter cet argent, les autorités ne seront d’aucune utilité au PLC.
« Ce ne serait pas la responsabilité d’Élections Canada de faire une enquête. Cette règle a été instaurée par le parti lui-même », confirme Matthew McKenna, le porte-parole du Bureau du directeur général des élections.
« La loi ne réglemente que certains aspects de ces courses, [comme au sujet] des rapports financiers pour les candidats et candidates qui y participent », précise aussi au Devoir le Bureau de la commissaire aux élections fédérales.
Dans les faits, le seul recours du Parti libéral serait de poursuivre au civil les personnes qui ont brisé leur engagement de ne pas faire de fausses déclarations. Le tout conformément à un contrat qui prévoit des pénalités financières pour cette infraction. « Les partis politiques sont des entités privées », rappelle la chercheuse postdoctorale à l’Institut national de la recherche scientifique Audrey Brennan.
Elle doute que le PLC ait les capacités ou même l’intérêt de poursuivre les simples plaisantins. « Je ne sais pas comment les libéraux peuvent faire enquête, ou comment ils vont arriver à envoyer ces amendes-là », convient l’experte de l’organisation interne des partis.
Mme Brennan voit d’un bon œil qu’on tente de dissuader les internautes malicieux par une menace de sanctions financières, mais elle considère que les processus internes des partis sont peu transparents. Il n’y a, par exemple, aucun moyen de vérifier les prétentions du PLC selon lesquelles près de 400 000 libéraux se seraient inscrits.
Partis à risque
Les tribunaux ont déjà statué que les formations politiques pouvaient essentiellement se gouverner comme elles l’entendaient, sous le prétexte qu’elles ne sont pas des organisations publiques. En 2018, un tribunal de l’Ontario a par exemple annulé un contrôle judiciaire visant à contester une amende de 50 000 $ imposée par le Parti conservateur du Canada à un ancien candidat à sa direction, Brad Trost.
À cause de ce faible encadrement, « l’ingérence est […] un risque dans les courses à la direction des partis », a mis en garde la juge Marie-Josée Hogue dans un volumineux rapport déposé à la fin janvier. Sa commission a par exemple entendu des allégations d’ingérence du gouvernement indien dans une course à la direction du Parti conservateur fédéral.
Elle suggère notamment de conférer un plus grand rôle à Élections Canada dans l’organisation des courses à la direction et de forcer les partis politiques à ne laisser voter que les citoyens et les résidents permanents. Le Parti libéral du Canada n’a resserré les règles en ce sens que récemment, dans le cadre de sa présente course à la direction.
En janvier, le PLC a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour couper court aux aspirations à la chefferie de l’un de ses députés d’Ottawa, Chandra Arya, sans expliquer pourquoi. M. Arya, qui avait notamment lâché en entrevue au Devoir qu’il n’était pas nécessaire de parler français pour être premier ministre du Canada, a fait valoir sur les réseaux sociaux que cette décision « soulève de nombreuses questions sur la légitimité de cette course ».
Karina Gould, qui figure parmi les cinq candidats restants à la chefferie libérale fédérale, s’en est aussi prise aux règles imposées par son parti jeudi. « Le parti a mis sur pied des dates butoirs extrêmement rigides en matière de collecte de fonds. Ils essaient de rendre les choses le plus difficiles possible pour que quelques candidats seulement puissent participer à cette course », a-t-elle dénoncé.
Les candidats avaient jusqu’à vendredi pour remettre un paiement de 125 000 $ à leur formation, un avant-dernier versement pour acquitter les frais d’inscription de 350 000 $ exigés par le PLC. La course à la direction se termine le 9 mars.